Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
REVUE DES DEUX MONDES.

(car il ne s’agit plus ici des dieux, mais des hommes) ; en troisième lieu, une rédemption, soit par continuation de la vie, soit par une vie nouvelle.

Dans la célébration des mystères, l’hiérophante interprétait le sens de la trilogie sacrée (hiérophante, énonciateur des choses saintes, le nom seul explique la fonction) ; mais ce sens, quel était-il ? Quelle en était du moins la nature ? Était-ce de l’astronomie ? Expliquait-on les rapports des planètes avec les saisons et les travaux agricoles, comme le prétendent si arbitrairement ceux qui ramènent tout aux allégories physiques, de sorte que ce merveilleux appareil, qui mettait en émoi la société grecque, n’aurait abouti qu’à la révélation d’un calendrier panthéiste ? Était-ce, selon les partisans d’Évhémère, une interprétation critique, laquelle, en apprenant aux initiés que les dieux n’étaient que des hommes divinisés, aurait détruit le culte même sur lequel elle reposait ? Ces deux opinions sont évidemment contradictoires ; elles sont le produit de ces deux anciens systèmes d’exégèse nés du premier examen philosophique, et les auteurs de ces systèmes n’étaient sans doute pas fâchés de couvrir quelque peu leurs assertions hardies de l’autorité de l’hiérophante lui-même.

Mais toute religion est essentiellement une législation, un gouvernement ; toute religion à un but pratique : il faut donc que les symboles religieux s’interprètent comme expression de la vie pratique de l’homme, et par conséquent de ses devoirs et de sa destinée générale. Les incarnations orientales même avaient cette tendance morale ; Vichnou dit : « Quand le monde se corrompt et que l’impiété se révolte, c’est alors que je m’incarne dans l’humanité, et que je me montre aux hommes pour conserver les bons et pour anéantir les méchans. » En Grèce, plus encore peut-être que dans l’Inde, le drame des mystères, qui a tant d’analogie avec les incarnations de l’Orient, réveillait l’idée d’un haut enseignement moral ; c’est ce qu’affirment les témoignages les plus imposans, depuis Hérodote. Sans une portée morale, les mystères n’auraient jamais conquis l’influence qu’ils exercèrent même sur les hommes d’état et les législateurs ; sans une portée morale, l’initiation n’eût pas été un devoir si long-temps respecté. Qu’on lise les phrases suivantes, écrites par des hommes de divers temps et de divers caractères, interprètes non systématiques de l’opinion de leurs concitoyens : « Heureux, est-il dit dans l’hymne à Cérès attribué à Homère, heureux, entre tous les habitans de la terre, celui qui a vu ces choses (les mystères d’Eleusis) ! mais celui qui n’est point initié aux choses saintes, et n’y a point