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découvrir le lien étroit qui les unit ; on verra que tout le système religieux de l’antiquité s’y révèle ; la tragédie, c’était l’exposition publique sur le théâtre de ce système long-temps caché dans les temples. L’invention de la tragédie ne fut pas un fait simplement littéraire ; elle fut un évènement religieux dont la philosophie et l’histoire doivent tenir compte. C’est sous ce point de vue que nous allons principalement la considérer. Voyons d’abord ce que c’était que les mystères.

On peut considérer les mystères de l’antiquité comme des cérémonies à la fois religieuses et scéniques, assez analogues, quant à leur forme extérieure, au drame bien autrement élevé par lequel l’église chrétienne représente, dans sa semaine sainte, les principaux faits de la passion de Jésus. Les circonstances accessoires de ces mystères, les temps, les noms, les personnages, variaient selon les localités ; mais la comparaison fait voir que partout le fond du mythe qui en fournissait la matière ou l’argument était identique ; en Égypte, en Phénicie, à Éleusis, à Thèbes, en Samothrace, l’évènement fondamental reste toujours le même.

Cet évènement fondamental forme toujours une trilogie, dont les trois termes sont invariables. Il est donc facile de dégager le fond du mythe des circonstances que l’imagination populaire, l’influence locale ou la poésie y ont ajoutées par la suite : il n’y a qu’à s’attacher exclusivement aux trois termes de la trilogie.

D’abord l’histoire égyptienne d’Osiris, qui semble avoir été la source des mystères grecs, se partage évidemment en trois points : premièrement une époque glorieuse et prospère, marquée par les progrès de l’agriculture, la conquête des Indes, l’invention des arts, le bonheur et la joie du peuple ; ensuite une époque de déchiremens, alors que le monstrueux Typhon, ce dragon gigantesque, symbole du simoun et de l’Arabie, vint attaquer Osiris, le coupa en morceaux et l’abandonna dans un coffre au cours du Nil et aux flots de la mer ; puis une époque de résurrection et de glorification, lorsque Isis, après l’avoir long-temps cherché, le trouva enfin, réunit ses membres déchirés et lui éleva des temples.

Les mystères de Bacchus, dont on attribuait l’introduction en Grèce à Orphée, et dont les chants dithyrambiques fournirent son premier cadre à la tragédie, reposent absolument sur les mêmes bases. C’est d’abord la conquête des Indes époque de bienfaits et de plaisirs ; puis Junon irritée poursuit Bacchus, qui est attaqué par un serpent ; dans la guerre des Titans, qui sont de la même race que