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de ses drames, s’est subdivisé lui-même et a produit la narration purement maritime. Les capitaines de ces petits vaisseaux qui ont quelque temps vogué glorieusement sont Glascock, Chamier, Howard et Marryatt. Il y a du mérite chez tous, mais si exclusif, si restreint, si peu vrai dans son adoption tyrannique de certains caractères et de certains tableaux, que cette vérité elle-même devient mensonge. Le plus heureux et le plus fécond de ces écrivains est Marryatt. Sans profondeur, sans invention et sans nouveauté, on peut du moins lui reconnaître les mérites populaires de la facilité, de la gaieté, et même une certaine vigueur dans le dessin des caractères. Comme il a beaucoup produit, on lui pardonne sa diffusion, son incorrection et ses jovialités hasardées. Il se sauve, par la franchise du trait, par un abandon qui ne manque pas de bonne grace, et par un certain amour, dont il faut lui tenir compte, pour l’impartialité et l’indulgence généreuse dont Fielding semble le type primitif, et Shakespeare le grand modèle.

Ne croiriez-vous pas qu’après tant d’exploitations différentes les subdivisions du roman analytique sont épuisées ? Non. Le dernier venu parmi les écrivains de ce genre a découvert un nouveau filon dans cette mine, illimitée apparemment. Warren, barrister at law, et qui n’est pas du tout connu en France, a inventé le roman professionnel, essayant de décrire les vices, les mœurs, les idées, spéciales de chaque profession. Déjà le médecin et l’avoué lui ont passé par les mains ; il a déployé dans cette variété de l’analyse romanesque un talent, une sagacité et une puissance d’observation très rares. Le Journal du Médecin, traduit et détérioré en français il y a quelques années, ne se composait que de fragmens très remarquables d’ailleurs, mais auxquels l’ensemble manquait. Son second ouvrage, Ten thousand a year (dix mille livres sterling de revenu) forme un tout complet, assez mal composé, assez mal écrit, incohérent, d’une diffusion souvent fastidieuse, mais qui initie admirablement le lecteur à toutes les fraudes, légitimes ou autres, que se permettent les bataillons d’avocats, avoués, procureurs, greffiers et huissiers, qui vivent de la loi et du plaideur. Il y a, dans ce livre intraduisible, qui reproduit exactement tout le jargon de la procédure anglaise, des parties admirables, des touches grotesques qui ne dépassent point le vrai, des mouvemens pathétiques qui ne s’écartent pas de la vraisemblance et de la vie privée. Malheureusement le talent et l’art de la composition manquent à cette œuvre disproportionnée.

Il y a autant de simplicité que de puissance dans l’idée première