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LE ROMAN ANGLAIS.

ses causes ; Henri VIII, si bon enfant quand on ne touchait pas à ses femmes, à ses lois et à ses œuvres, joyeux compagnon d’ailleurs, et qui vous frappait familièrement sur l’épaule avant de vous envoyer pendre ! et les jésuites de cette époque, et les moines armés contre les jésuites, et les femmes de lettres, dont le bas bleu florissait dès-lors, tout brodé de grec et d’hébreu ; — Élisabeth, Jeanne Grey, les filles de Morus, savantes qui de notre temps auraient terrassé les plus savantes ; — tout cela n’est plus chez Ainsworth qu’un amas de poupées chargées de costumes et de modes surannés.

Pour que le roman excelle et s’isole ; il faut qu’il contienne la vérité et qu’il la dépasse, qu’il touche à la réalité et qu’il atteigne l’idéal ; que le détail y soit, et que la grandeur de l’idée relève le détail : œuvre rare et exquise ! Si la réalité, l’histoire, le fait, sont plus intéressans que le roman qui les choisit pour texte, ce roman est médiocre. Les Souvenirs de miss Burney, récemment publiés, sont beaucoup plus amusans que Cécilia et Évelina. Ces deux livres, charmans d’ailleurs, mais remplis des subtilités élégantes d’une étude sociale à la fois trop raffinée et trop égoïste, sont exclusifs et ne voient la vie que d’un côté. Dans ses lettres et son journal, la jeune fille devenue dame d’honneur de la reine d’Angleterre, est forcée d’étendre son coup d’œil, de regarder tout ce qu’elle voit, et d’écouter tout ce qu’elle entend. Son horizon s’élargit. Je citerai surtout les publications érudites et récentes de la société camdenienne, qui, placées à côté des romans de M. Ainsworth, l’éclipsent tout-à-fait. M. Ainsworth est étouffé par les vieux livres que l’on réimprime ; il ne peut pas soutenir la comparaison.

Cet imitateur malencontreux de Cooper, de Victor Hugo et de Scott a trouvé à son tour un bataillon d’imitateurs, qui font, comme lui, la débauche du carnage romanesque, et abusent chaque jour par écrit de l’empoisonnement et de l’incendie. Contentons-nous de citer les auteurs tout récens de Ferrers et de Flirtation, mot qui ne peut se rendre par l’expression française coquetterie, et qui correspond au mot ancien, fleurette, fleuretage, fleuretter :

Et je m’en irai fleuretter

dit un vieux poète français,

Emmy les pucelles si gentes.

Les fleurettes de miss Sinclair sont d’une espèce bizarre, et l’auteur de Flirtation paraît avoir une étrange idée de l’agréable et frivole