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LE ROMAN ANGLAIS.

Ils descendent du haut d’un clocher comme des chats ; ils traversent des marais à tire-d’aile comme des hirondelles ; ils s’asseient sur des barils de poudre qu’ils jettent ensuite à la tête de leurs ennemis. Ils sont tous boxeurs, danseurs, chimistes, mécaniciens, équilibristes et prestidigitateurs, gens doués de muscles et de nerfs effroyables, acrobates prodigieux, — de sublimes brutes. Les plus remarquables de ces messieurs sont un nain, trois géans, un louche, un bourreau, quatre bouffons, un boiteux, un goîtreux. Sans doute M. Ainsworth se frotte les mains quand il a improvisé une de ces difficiles et savantes inventions.

En croyant suivre la trace de Walter Scott, et en l’imitant de très près quant au procédé matériel, Ainsworth est resté aussi loin que possible de son maître. Scott peint des vivans, Ainsworth ne fait que des maquettes. Scott non-seulement esquisse, mais fouille curieusement ses caractères ; Ainsworth ne prend ses personnages que pour des prétextes auxquels il suspend, comme à des clous, les faits et les incidens bizarres qu’il entasse. Scott se délecte dans l’étude des hommes, Ainsworth s’amuse à toutes les choses extraordinaires et de nature morte qu’il rencontre ou qu’il découvre. L’un peint une galerie de tableaux et soigne ses portraits, il est artiste ; l’autre fait collection de curiosités qu’il jette dans son cabinet : crocodiles, lézards, embryons, monstres, reptiles, vieux meubles qu’il raccommode, bizarreries de la nature et de l’art, le tout éclairé d’une fausse lumière. Accourez donc, cadavres galvanisés, sorcières chauves, conspirateurs trempés de sang et de sanie, et vous aussi, magiciennes de carrefours, squelettes de pendus, ombres des morts, lumières errantes sur les marais, et composez entre vous une littérature exclusive ; dansez autour de ce panthéon littéraire qui est la morgue du Parnasse, et où règne M. Ainsworth après Lewis, Maturin et Mme Radcliffe, dont il parodie violemment les fantaisies.

Cet auteur a choisi un mode de publication excellent pour déguiser autant que possible l’incohérence des œuvres. Il publie ses romans par livraisons, ou plutôt les débite par chapitres. Une description d’incendie, suivie d’une description de bataille à laquelle succéderait une description de viol, fatiguerait le lecteur. Mais ne le contraignez pas à les avaler d’un trait, séparez ces catastrophes l’une de l’autre, qu’il les parcoure isolément, et il n’en sera pas plus choqué que de lire, dans le placard d’un colporteur, un meurtre, un vol, une exécution. Que le pauvre art cache sa tête et voile son front ! Sans excuser les mièvreries de détail qui remplissent les romans de