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bois, procèdent, comme je l’ait dit, de Scott, Cooper, De Foë et mistriss Radcliffe. Les choses, le danger, les obstacles, l’incendie, le combat, enfin le matériel de la vie n’échappe pas à Ainsworth. Il reproduit heureusement les évasions, les enlèvemens, les violences, les batailles. Il y a de la véhémence dans sa façon de peindre ces conflits ; quant aux terreurs qui sont dans l’ame, et aux mouvemens cachés dans les intelligences, quant au spirituel, à l’idéal, à l’invisible, ils lui sont plus inconnus qu’a Fenimore Cooper. C’est bien le romancier d’une littérature qui ne sait plus où se prendre et qui s’agite pour éviter la paralysie. Tour à tour, les principaux monumens de Londres et des provinces voisines ont été, sous la plume d’Ainsworth, des prétextes à romans convulsifs ; Saint-Paul, le château de Windsor, la Tour de Londres, etc. Ainsi l’idée de M. Victor Hugo, idée fort belle et qui va si bien à Notre-Dame de Paris, l’auteur anglais se l’est appropriée pour la gâter. La création de l’écrivain français renfermait un sentiment grandiose de l’harmonie et de l’art ; il groupait les faits d’une épopée lyrique autour d’un monument religieux, centre de la ville, centre de l’ancien berceau civilisateur. Quelle barbare et ridicule imitation que celle de M. Ainsworth, qui va chercher les sanglantes murailles de la Tour de Londres pour leur appliquer le procédé lyrique de M. Victor Hugo !

Ainsworth est un exemple des folies de la popularité et du mauvais état actuel de la littérature anglaise. On ne peut ni s’intéresser à aucun des personnages de ses romans, ni les distinguer les uns des autres. Ce sont des femmes qui ressemblent à des hommes, des hommes qui ressemblent à des enfans, des conspirateurs qui ressemblent à tout, des êtres de fer et de carton. Tout, chez Ainsworth, comme chez Maturin, Mme Radcliffe, et les autres faiseurs de cette école, est factice et se meut par des ressorts ; tout y est pétrifié, privé de mouvement naturel et surtout d’ame. Une muse colorée, accentuée, bruyante, faite de métal et de rochers sonores, préside à ces créations mauvaises, qui retentissent, et se brisent comme des marionnettes de verre et de fer-blanc, chargées de quelques oripeaux qui étincellent. Pourquoi donc a-t-on fait une espèce de réputation à de telles œuvres ? C’est que l’Angleterre, comme la France, comme l’Europe, tourne tout entière au talent américain, c’est-à-dire au mépris du talent. L’esprit dort et les sens dominent. M. Ainsworth est un romancier physique, un écrivain qui donne tout aux émotions du corps. Ses héros ne pensent ni ne sentent, mais ils boivent et mangent bien, sautent bien, courent bien et bondissent miraculeusement.