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le brigand, misère chez le riche, douceur d’ame chez le bandit, passion chez la vierge de seize ans ; enthousiasme pour toute héroïque action ; le moyen-âge réhabilité malgré Voltaire, le catholicisme remis en honneur au sein d’un société protestante, le parti jacobite ressuscité et couronné ; bienveillance pour tous et pitié pour l’humanité, c’est là Walter Scott. Qu’ils ont peu connu ce charmant esprit, ceux qui l’ont vu tout occupé de cuirasses damasquinées et de mobiliers gothiques ! Souvent ses meubles sont faux ; ses hommes sont vrais.

Si certaines passions ne manquaient pas à Walter Scott, s’il redisait les accens et les peines de l’amour, comme il répète les traits et les accens des caractères et des époques, Shakespeare avait un égal. Ce n’est encore que la moitié d’un Shakespeare. On a remarqué la froideur de ses amans et le peu d’intérêt qui s’attache à leurs craintes ou à leurs triomphes ; mais le greffier d’Écosse, qui s’était constitué le greffier de l’histoire et des souvenirs nationaux, avait jeté un autre intérêt puissant dans ses œuvres, la reproduction vive du génie écossais. Sous ce rapport, il fut initiateur et très imité. Il apprit à une foule d’écrivains, que nous rencontrerons tout à l’heure, l’art assez piquant et nouveau de renfermer dans une narration qui amuse le tableau spécial des localités inconnues et des mœurs étrangères.

L’influence et le prestige de Walter Scott furent si vifs, que tout le monde se jeta pour ainsi dire sur l’héritage de son génie avant même qu’il fût mort. On en fit deux parts : les uns s’attachèrent à reproduire, à son instar, les souvenirs historiques ; les autres, la vie locale des races. Dans la première classe, on distingue Horace Smyth, narrateur minutieux : dressant le procès-verbal des chaises, des tableaux et des statues ; — James, le plus fécond des romanciers historiques, habile à disposer les faits, ignorant les caractères et les passions ; — Grattan, psychologue un peu froid, mais souvent profond ; — Crowe, vrai pamphlétaire politique qui n’est romancier que de nom ; — Banim, le Walter Scott irlandais, à ce que disent les Irlandais, peintre exagéré, affecté et maniéré, outrant, au lieu de les expliquer, les bizarreries de sa nation, et gâtant, par la recherche du sublime et de l’extraordinaire, le talent naturel et brillant qu’il possède. Mais Banim, ainsi que Grattan, appartient plutôt encore à la seconde troupe des imitateurs de Scott ; il doit se classer parmi ceux qui ont écrit le roman des peuples, et qui d’une race ont fait un héros, par exemple, lady Morgan pour l’Irlande, mistriss Hall pour le même pays, Morier, Fraser et Hope pour la Perse, la Turquie et la Grèce.