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LE ROMAN ANGLAIS.

être vieille, et que la tradition charme, conserve encore le goût de la personnification abstraite, trace dernière du symbolisme qui régnait au moyen-âge. On se rappelle involontairement, en parcourant ces moralités tournées en romans, les moralités dramatiques qui faisaient les délices de l’Europe chrétienne, lorsque Vice et Luxure venaient gourmander sur la scène Vertu et Tempérance, leurs ennemies éternelles. D’ailleurs le mérite assez superficiel de ces romans sur le dur et le doux ne peut pas long-temps fixer l’attention.

Les femmes avaient en général suivi l’école de miss Edgeworth, école puritaine, adoucie et tempérée par l’élégance naturelle au sexe. Le naïf et légitime roman de Fielding était abandonné ; une seule femme, d’une conduite énergiquement originale et d’un très grand caractère, mistriss Inchbald, en releva un moment la gloire. Elle fit Simple récit, que les traducteurs ont traduit par Simple histoire, ce qui est niais. Simple story est un diamant pur, un chef-d’œuvre en miniature ; pas de leçon, de verbiage, de sentimentalité, de subtile analyse attentive à fendre un cheveu en quatre, pas un des défauts de l’école opposée, mais une grande vérité, un style ferme, une couleur franche, et la vie humaine se répétant dans un petit cadre comme dans la glace la plus nette. Mistriss Inchbald menait une vie singulière ; elle était belle et passionnée, héroïque par goût, chaste par choix, et, trompée dans un premier attachement, elle se réfugia au fond d’un grenier pour faire plus souvent la charité aux pauvres. Il y a, dans son style et dans la position littéraire qu’elle a prise, quelque chose de ce courage fier et isolé. D’ailleurs tout suivit son cours, et chacune des écoles portait ses fruits ; les amusettes de la terreur étaient exploitées par Maturin et Lewis. Le sérieux leur manquait ; ils faisaient avec talent des créations horribles, qui n’avaient pas plus de portée que la voix d’un enfant caché derrière un grand mur, et monté sur des échasses avec un linceul sur le corps pour épouvanter ceux qui passent. Walter Scott parut enfin.

Sa destinée était de recueillir à la fois les deux héritages de l’école shakespearienne ou observatrice, délaissée depuis Fielding, et du roman archéologique, mis à la mode par Walpole. Après tout, il relève de Fielding, qui lui-même se rattache au grand Shakespeare. Seulement il porte l’indifférence plus loin qu’eux. La pensée vivifiante et intime de Walter Scott est cette muse douce et triste, mélancolique et vieille, pleine de bonhomie et de pardons, qui est tout au moins cousine de l’indifférence, et qui se nomme l’impartialité. Justice pour toutes les époques, justice pour tous les partis, vertu chez