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comme lui, elles n’ont pas d’autre théorie, pour l’art et pour la vertu, que de soumettre la vie humaine à l’examen de détail le plus scrupuleux, le plus fin, le plus sérieux, souvent le plus égoïste.

Miss Burney, miss Ferrier, miss Austen, se sont livrées, après mistriss Edgeworth, à cette étude qui convient à l’esprit des femmes. Mistriss Edgeworth s’était distinguée par une moralité plus sévère et plus attentivement dirigée vers l’éducation féminine ; miss Ferrier déploya une prédilection marquée pour la satire des ennuyeux et des sots ; miss Austen, un mélange de sensibilité douce, et miss Burney, une malice très spirituelle et très piquante. Entre ces romancières, il n’y a guère que des nuances et des demi-teintes. L’imagination n’est pas leur fort. La malice féminine, la pruderie puritaine, l’étiquette sociale née de cette pruderie, la tradition de la moralité prêchée par Richardson, et l’étude un peu maladive du cœur humain et des caractères, règnent dans ces œuvres délicates et gracieuses. Elles n’ont rien de commun avec Fielding, encore moins avec Cervantes ; ce sont les petites-filles de Richardson.

Miss Ferrier, peu connue hors de la Grande-Bretagne, a produit trois romans, le Mariage, l’Héritage et la Destinée ; leur mérite est inégal, et cette inégalité a suivi une progression croissante vers la perfection relative, progression rare et qui sépare miss Ferrier de la plupart des romanciers vivans. Personne ne sait mieux grouper dans un petit cercle des personnages à la fois ridicules et vraisemblables, c’est une veine d’ironie très subtile et souvent d’une finesse brillante ; mais miss Ferrier abuse de ses sots : les extravagances et les sottises que nous fuyons dans la vie deviennent odieuses dans le roman ; elle en jette sans cesse de nouvelles sous les pas du lecteur, qui s’en fatigue. C’est d’ailleurs une des plus ingénieuses élèves de cette école puritaine qui, grace à la vivacité et à la fraîcheur de quelques caractères bien inventés, fait d’un sermon doctrinal un roman assez agréable. Cette école n’est pas éteinte et produit ses preuves chaque année ; elle vient de donner une dernière œuvre intitulée Softness, mot qui, signifiant « douceur, mollesse, facilité, » indique la nuance intermédiaire qui réunit les trois teintes indiquées par ces mots français. L’auteur de Softness avait déjà composé un autre roman, Hardness, « dureté, indocilité, rudesse et mauvaise humeur. » Il s’agissait dans Hardness d’un vieux et rude baronnet que son obstination conduisait à sa ruine ; il est question dans Softness d’un jeune galant du monde nouveau qui se perd par insouciance et naïveté. L’Angleterre, qui n’oublie rien, qui ne renonce à rien, qui aime à