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l’homme de cour, l’homme du parti contraire, le débauché, celui qui n’est pas puritain, — Lovelace !

Le parti contraire eût bientôt son homme de génie ; il fallait que l’équilibre se rétablit. Je l’ai déjà nommé ; cet homme de génie était Fielding. Homme du monde, homme d’épée et de plume, bon vivant d’ailleurs et ennemi des puritains jusqu’au dégoût, il monta, pour les combattre et les écraser à son aise, sur une hauteur que Shakespeare avait déjà occupée et d’où il les foudroya en riant. Richardson et ses amis étaient exclusifs et impitoyables ; il fut vaste et indulgent. Le puritanisme damnait beaucoup, comme font les sectes qui exigent beaucoup ; Fielding sauva les damnés et pria pour tous les coupables, les hypocrites exceptés. La largeur, la tolérance, la charité, la gaieté, la pénétration de son talent, firent une brèche terrible à la redoute élevée par les De Foë et les Richardson. Bientôt un spirituel Irlandais vint l’aider à l’œuvre ; c’était Sheridan.

Cependant le siècle allait finir, et de nouveaux élémens devaient bientôt se mêler aux passions des puritains, énergiquement représentés par Milton, De Foë, Bunyan, Richardson, et à celles de leurs adversaires, dont Dryden, Fielding et Sheridan étaient les organes. Un grand cataclysme s’annonçait. Des voix douloureuses s’élevaient çà et là. Le puritanisme devenait plus sombre, la gaieté des gens du monde plus étourdiment amère. Avant l’éruption de cette mer de flammes intérieures depuis si long-temps accumulées, et qu’on appelle la révolution française, on voit se former à travers toute l’Europe comme une lente procession de tristes poètes, auxquels le don de poésie communique le don de prophétie, et qui, portés dans leur nuage sur des ailes lugubres, chantent d’avance les funérailles de notre société au moment même où le bas peuple des esprits, où la tourbe béante et stupide salue l’aurore naissante. C’est du Nord que jaillit le premier accent d’alarme ; là se trouvent les ames les plus neuves et les moins séduites. L’Occident ne tarde pas à leur répondre, et le chant élégiaque retentit de Berlin à Londres, et de Londres à Milan. Young, un courtisan et un parasite, entonne le chant de mort. Les fausses douleurs du faux Ossian éclatent sur cette lyre singulière que Macpherson a construite, avec les débris de la harpe judaïque et les fragmens arrachés à la lyre d’Homère. Les deux chefs les plus funèbres de cette cohorte voilée, ce sont les auteurs de Werther et des Brigands, Goethe et Schiller. L’un, Goethe, s’écrie que pour un cœur honnête, capable d’amour, orgueilleux et naïf, il n’y