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des écrivains célèbres, rendent l’histoire littéraire inexplicable et obscure. On s’en tient, en général, à la forme et à l’apparence ; on croit avoir beaucoup fait, lorsque, selon l’habitude des monographes allemands, on a classé dans un ordre régulier tous les romanciers d’une nation, puis tous les dramaturges, et ailleurs encore tous les poètes. On ne voit pas que cet ordre prétendu n’éclaire et n’explique rien, qu’il ne fait comprendre aucun des mobiles, aucune des idées mères, aucune des passions intérieures qui donnent aux produits de l’intelligence l’impulsion, le sens et la vie. On agit comme agirait un historien qui, voulant écrire l’histoire d’une guerre, compterait dans l’une et l’autre armée et confondrait dans ses tables tous les hommes de six ou de huit pieds que lui fourniraient les deux nations ennemies ; n’oubliant qu’une seule chose, le récit de la guerre elle-même et l’analyse des motifs qui l’ont fait naître, des accidens qui l’ont traversée, et des résultats qui l’ont suivie.

Qu’est devenu le roman dans la Grande-Bretagne depuis l’époque de Walter Scott ? Pourquoi, descendant de son élévation éclatante, s’est-il subdivisé presque à l’infini ? Quelle est la cause de ce fractionnement singulier qui, transformant sous nos yeux en mille petits filets imperceptibles cette source abondante et vive, la fait disparaître sous les sables ? On compte aujourd’hui trente ou quarante espèces de romanciers britanniques ; à quoi rapporter cette situation étrange ? Si l’on voulait dresser le catalogue complet des modernes romanciers de la Grande-Bretagne, on ferait un travail aussi stérile que pédantesque ; on laisserait dans l’ombre une des questions les plus singulières de notre époque intellectuelle, et l’on remplacerait, comme il arrive si souvent, la réalité par le simulacre. Pour faire comprendre l’histoire du roman anglais tel qu’il apparaît de nos jours, il faut nécessairement remonter au-delà de sa décadence, et savoir quelles passions et quelles idées l’ont ancré et soutenu lorsqu’il jouissait de sa véritable puissance et de sa force primitive. Nous chercherons ensuite quelles causes ont atténué cette sève en affaiblissant ces passions, et chacun des noms inférieurs, chacune des œuvres médiocres ou incomplètes du temps présent, trouveront ainsi leur explication et leur valeur.

Écrire ex professo les annales complètes d’un genre, du roman, par exemple, ou du drame, serait une entreprise impossible. Partout des romans qui ne sont pas des romans, des comédies qui ne sont pas des comédies. Osez classer Sterne, qui n’a pas écrit une seule narration suivie, et jetez-le parmi les romanciers ! Lui donnerez-vous