Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
179
REVUE. — CHRONIQUE.

dont elle avait long-temps soulagé les souffrances, et tout à l’heure encore défendu au péril de sa vie les derniers momens. Elle frémit à l’idée du loup revenant dans la chaumière ; elle court au paysan le plus voisin, et le supplie de permettre qu’elle dépose chez lui la dépouille de sa pauvre Mancel. Sa prière est exaucée : aussitôt elle disparaît, charge sur ses épaules le pieux fardeau, et, sa mission providentielle enfin accomplie, tombe à genoux et remercie Dieu d’avoir béni ses efforts. Jugez de son bonheur, messieurs, lorsqu’elle sut que l’animal contre lequel elle avait héroïquement lutté était revenu la nuit suivante, et que ses pas, imprimés sur la neige et dans la cabane, lui prouvèrent jusqu’à quel point son courage était récompensé !

L’Académie n’avait pas été la première à découvrir l’asile de Madelaine Saulnier ; sur le trône, veille une princesse dont la charité pénètre jusque dans les plus obscures retraites de la misère ou du malheur. Invisible comme la Providence, sa main, qu’elle dissimule, dispense d’un bout de la France à l’autre les consolations et les secours. Ce serait la trahir que d’insister davantage ; mais cette identité de vocation, cette égalité devant Dieu, dont je parlais pour tous les hommes, pourquoi le trône ne la réclamerait-il pas à son tour ? Est-il, je le demande, un plus beau spectacle sur la terre que celui de la bonté, de la charité, que dis-je, de toutes les vertus unies au rang suprême, et répandant au loin des exemples qui méritent d’être mis au premier rang des bienfaits ? Ne les voyons-nous pas déjà suivis, messieurs, ces exemples, autour de celle qui les donne ? Demandez à Madelaine, elle vous parlera d’une autre princesse dont elle a aussi reçu les secours, et que la France aime et respecte en la voyant marcher sur les traces de celle qu’elle a nommée sa mère.

Je passe au second prix donné par l’Académie ; c’est encore toute une vie dont j’ai à vous présenter le tableau. Au lieu du dévouement passionné, héroïque et chrétien, de Madelaine Saulnier à l’humanité souffrante, nous verrons une jeune fille de seize ans, s’ignorant elle-même, entrer au service d’honnêtes époux, s’attacher à eux toujours davantage à mesure qu’elle leur devient plus nécessaire ; les perdre, transporter son attachement à leur enfant, qui ne peut non plus se passer d’elle, et de génération en génération, retenue toujours par le bien qu’elle fait, se consacrer durant trente-six années à cette même famille, sans que les chances de fortune qu’on lui offre, ni les infirmités qui l’accablent, fassent hésiter un seul instant son dévouement. Marie Catherine Naville, surnommée Manette, est née à Sanderville, dans le département d’Eure-et-Loir. Entrée en 1808 chez M.  et Mme Létan, avec lesquels, jusque-là, elle n’avait eu aucun rapport, Manette s’aperçut, au bout de deux années, que la santé de sa maîtresse s’altérait, et que l’aisance de la maison diminuait tous les jours. Elle n’avait que dix-huit ans, et ne savait pas encore que l’instinct le plus impérieux de son ame, sa vocation la plus irrésistible, seraient de s’attacher aux êtres dont elle aurait été le soutien, et de se dévouer à leur personne, avec cette même ardeur que Madelaine Saulnier