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REVUE. — CHRONIQUE.

estimables, fut pleine de foi, de religion dès son berceau ; mais là se bornèrent pour elle les secours visibles de la Providence, à moins de regarder la carrière que vous lui verrez parcourir comme une de ces saintes missions auxquelles il est d’autant plus permis de croire, que jamais ceux qui les ont reçues ou qui les remplissent ne sont tentés de se les attribuer. Madelaine, dès son enfance, s’était consacrée d’elle-même au soutien de ses jeunes frères et sœurs ; les jeux de son âge ne tenaient aucune place dans sa vie, mais elle s’était réservé des jouissances qu’elle entourait d’un certain mystère, et dont en particulier elle avait dérobé la connaissance à tous ses parens. Emportant chaque jour aux champs sa frugale nourriture, elle en distribuait une portion aux pauvres du voisinage, et ne leur demandait en retour que de lui garder le secret. Cependant le dévouement, le courage, n’empêchent pas la nature d’avoir ses droits ; le développement physique de Madelaine eut à souffrir du peu de nourriture ; elle se livrait à des fatigues qui excédaient ses forces. Des infirmités précoces vinrent l’atteindre, mais ne purent ralentir l’essor de son ardente charité. Devenue plus âgée et plus indépendante, le bien qu’elle fit dépassa toutes les limites de la vraisemblance, je dirais presque du possible.

Ne nous lassons jamais d’admirer, messieurs, cette force, cette puissance surnaturelle que donne l’abnégation de soi-même, l’absolu dévouement. Cet être faible, dont les privations et la misère avaient déjà miné l’existence, franchissait de longues distances pour aller porter ses soins ou le fruit de ses sacrifices à de plus malheureux que ceux qu’elle aurait trouvés auprès d’elle ; et lorsqu’elle avait épuisé toutes ses chétives ressources, lorsqu’elle se voyait en présence de douleurs qu’elle ne pouvait plus soulager, elle s’imposait une tâche plus rude que toutes les autres, celle de fléchir l’insensibilité de l’égoïsme, d’affronter le refus brutal ou glacé de l’aisance sans pitié, pour rencontrer parfois quelque sympathie, et obtenir quelque moyen de secourir ceux qu’elle avait laissés sans espoir. C’est au chevet des malades que nous verrons briller surtout cette physionomie céleste ; c’est là que, surmontant toutes les répugnances naturelles, dépouillant en quelque sorte toutes les faiblesses de la terre, nous allons la voir centupler ses facultés et ses forces pour consoler ceux qui pleurent, soulager ceux qui souffrent, ou les diriger vers le ciel en les faisant mourir en paix. Ainsi, pendant quinze ans, elle a fait vivre le nommé Nesme, aveugle, avec sa fille idiote. Chaque jour elle partait et faisait à pied une demi-lieue pour donner à l’aveugle et à sa fille leur nourriture, et, ce qui était plus difficile, le courage d’attendre et de vivre encore jusqu’au lendemain. Pendant quinze ans, messieurs, je l’ai relu et constaté avec soin dans les renseignemens qui nous ont été transmis ; quinze ans, pendant lesquels se répètent tous les jours des actes dont un seul suffirait pour embellir, honorer toute une vie, c’est ce que la religion, la foi en Dieu seule explique : l’humanité n’y suffit pas. — Voulez-vous un autre exemple ? À la même distance de la demeure de Madelaine, au hameau des Grandes-