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rendent leur gouvernement facile. Les satisfactions que procure un culte mental étouffent ces jalousies, cette cupidité, ces ambitions, qui jettent tant de désordre dans nos sociétés humaines, et, grace à l’ascendant religieux, la communauté morave se maintient, depuis un siècle, sans interruption comme sans progrès.

Le même mobile se retrouve dans les colonies d’Indiens que fondèrent, vers le milieu du dernier siècle, les jésuites du Paraguay[1]. Les élémens différaient cependant sur un point. Ces Indiens vivaient à l’état sauvage, et l’application d’un mode de civilisation, quel qu’il fût, était pour eux un bienfait réel. Les jésuites d’ailleurs se montrèrent animés, à l’égard de leurs nouveaux sujets, de sentimens éclairés et bienveillans. Leurs missions ou réductions du Paraguay étaient gouvernées par un régime patriarcal tempéré de discipline catholique ; la communauté y existait plutôt dans les mœurs que dans les lois. Chaque Indien avait son champ, son troupeau, mais en dehors de cette propriété individuelle existait un vaste domaine commun que l’on nommait la possession de Dieu. Toute la colonie concourait à cette culture ; les produits en étaient affectés à l’entretien des infirmes, à la guérison des malades, aux frais du culte, au paiement du tribut envoyé chaque année au roi d’Espagne. Les hameaux situés dans des plaines fertiles réunissaient les conditions désirables de salubrité, de symétrie et même d’élégance. Ce peuple y vivait heureux, mêlant à l’exploitation du sol quelques industries manuelles, comme le tissage des toiles. On portait dans les magasins de la mission le produit du travail collectif, et le curé en opérait ensuite la distribution en raison des besoins. Ces établissemens prospérèrent ainsi pendant plusieurs années ; mais la jalousie de quelques ordres rivaux parvint à en faire expulser les jésuites, et dès-lors cette civilisation éphémère dépérit peu à peu et s’éteignit sans retour. Il n’y avait là d’ailleurs qu’un phénomène naturel. Pour un peuple dans l’enfance, la communauté est le premier échelon de l’ordre social ; l’individu n’a pas encore la conscience de ce qu’il peut et de ce qu’il veut ; il a besoin d’une tutelle attentive. Les jésuites avaient donc parfaitement compris ce qui convenait à leurs administrés ; ils s’étaient substitués au rôle des anciens patriarches[2].

  1. Cristianismo felice de Muratori.
  2. Il existe en France, dans l’ancien Morvan, une communauté singulière sur laquelle M. Dupin aîné a écrit une notice pleine d’intérêt : c’est celles des Jault, située près de Saint-Saulge, dans la commune de Saint-Benin-les-Bois. Une grande maison d’habitation, distribuée en cellules, renferme une petite colonie agricole