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REVUE. — CHRONIQUE.

de cour, les inventions poétiques de cette nation dont elle avait gêné les desseins et adopté l’alliance. L’esprit français connut dès-lors et goûta vivement la raison, l’éloquence et l’incomparable plaisanterie de Cervantes ; mais il n’emprunta d’abord au drame espagnol qu’une irrégularité sans force, un chaos, au lieu d’une création. Ce fut seulement par un retour puissant sur lui-même, et en se rapprochant des règles plus sévères qui lui sont naturelles, que plus tard, dans le Cid, dans Venceslas, dans le Festin de pierre, dans Héraclius, il enleva quelques-unes des beautés neuves de la scène espagnole. De là cette grande leçon qu’un peuple ne profite bien des pensées d’un autre qu’en restant lui-même, et sous la condition de créer beaucoup plus qu’il n’imite.

Cette heureuse loi de nos deux grands siècles littéraires est habilement appréciée par l’écrivain qui nous montre une connaissance si étendue de la littérature espagnole, et je regrette seulement que, parmi les assimilations de l’esprit étranger avec le nôtre, il n’ait pas cité ce qu’emprunte au naturel exquis de Cervantes et à la moquerie de Quevedo, l’originalité comique de Le Sage. Mais comment tout dire dans un vaste sujet ? C’est assez, c’est beaucoup d’avoir, comme l’auteur couronné, M. Puibusque, fait sur une question difficile un ouvrage presque complet, quelquefois trop développé et toujours instructif, même pour ses juges.

Une grande part de ce même mérite pourrait être réclamée pour l’ouvrage inscrit sous le no 3, et dont l’auteur, M. Viguier, reçoit de l’Académie une mention d’honneur. Moins étendu tout à la fois et moins régulier que le précédent, mais semé de passages remarquables sur la philosophie des langues, sur l’antiquité, sur les principaux caractères de la littérature du XVIIe siècle, respirant à toutes les pages le goût des sentimens élevés, ce discours semble un titre de plus pour le corps enseignant, dont M. Viguier est un des représentans les plus honorables et les plus distingués. Son ouvrage, réuni à celui de son heureux concurrent, forme une belle étude sur l’Espagne en elle-même et dans ses rapports avec la France, jusqu’à l’heure mémorable où, sous une plus haute influence, le génie français, émancipé par Descartes, devenait, avec Pascal, si original et si pur.

S’arrêter à ce nom de Pascal, analyser non pas une époque, une littérature, mais un homme en qui s’est montrée toute la puissance de l’esprit humain, c’était un travail que l’Académie devait proposer aux intelligences sérieuses de nos jours. L’éloge de Pascal par Condorcet montre bien la prodigieuse révolution des idées, à cent ans d’intervalle ; mais il ne fait pas connaître le profond génie qui prévoyait une telle révolution, et qui la contrepesait d’avance par ses pensées religieuses, en même temps qu’il y travaillait par ses découvertes et sa hardiesse involontaire.

Quelle méditation plus grave que d’étudier impartialement cet homme tout entier, de chercher dans sa puissance scientifique une des conditions mêmes de l’esprit français, cette loi de justesse éclatante et de précision sévère qui