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REVUE. — CHRONIQUE.

ment délicat, étude détaillée des livres et intelligence des siècles, vive sensibilité littéraire et connaissance approfondie de l’histoire et des mœurs, imagination et philosophie, voilà bien des qualités que le sujet proposé réclamait en quelque sorte, pour être dignement traité. Les travaux à consulter sur cette question, les modèles de critique à suivre étaient rares et parfois trompeurs par leur éclat même. Le hardi et brillant Schlegel, dans son Cours de poésie dramatique, le savant et ingénieux Sismondi dans son Histoire littéraire de l’Europe méridionale, lord Holland dans ses Essais sur Guillen de Castro et Lope de Vega, avaient un peu exagéré la partialité pour l’Espagne, ce côté du midi moins classique et moins romain que l’Italie, et dans lequel ils croyaient pouvoir saluer avec reconnaissance une hâtive aurore, une révélation anticipée de l’école nommée plus tard romantique.

Aujourd’hui, dans la question proposée, il ne s’agissait plus de lever un drapeau novateur, de plaider vivement pour une cause douteuse, d’évoquer Calderon contre Racine, mais d’exposer un fait important dans l’histoire de notre littérature, et pour cela de pénétrer et de faire comprendre toute une littérature étrangère, non moins féconde qu’inexplorée, et qui fut long-temps aussi puissante sur l’Europe que le peuple dont elle était la forte et vive expression.

C’est là, messieurs, la tâche qui nous semble réalisée dans un ouvrage inscrit sous le numéro 1er, et portant pour épigraphe cette phrase de Quintilien : « L’imitation des choses excellentes en fait trouver de semblables. » L’auteur, intéressant et méthodique, trace un cadre étendu, et le remplit avec soin. De l’origine commune des deux grands idiomes diversement modifiés par le climat et le génie national, il descend à leurs affinités secrètes, à leurs développemens successifs et distincts, à leurs rapprochemens, à leurs séparations ; il les suit dans leurs nombreux détours, parmi tous leurs affluens étrangers, et de leur confusion apparente il dégage et fait sortir le cours limpide et pur du génie français.

L’Espagne, qui, de bonne heure, eut la gloire populaire du Cid, mais qui n’eut pas de Dante, l’Espagne, plus tardive que l’Italie, en reçut au XVIe siècle une influence littéraire doublement reflétée sur la France. Mais l’Espagne ne fut jamais Italienne, et de même qu’elle avait apporté jadis dans la Rome des empereurs son originalité indépendante, sa forme d’imagination et de goût, ses Lucain et ses Sénèque, ainsi, dès le moyen-âge, elle montra son tour particulier de génie méridional, sa gravité, sa pompe, et cette ardeur plus orientale qu’enflammaient encore le belliqueux contact et le mélange d’une population et d’un culte apportés d’Afrique et d’Asie. La gloire enfin, cette grande dominatrice des hommes, vint donner à la langue, au génie, aux idées de l’Espagne, un ascendant momentané, mais immense, sur les autres nations de l’Europe, et nous ne doutons pas que la France, qui en reçut l’impression, ne l’eût ressenti bien davantage, n’en eût souffert peut-être, si une Providence gardienne de l’équilibre des peuples n’eût alors suscité le