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REVUE. — CHRONIQUE.

Ici la tâche de l’auteur était difficile. Depuis Fénelon écrivant avec la sublime douceur de son ame et de sa foi, depuis Rousseau donnant à des préceptes l’intérêt de la passion et du roman, des femmes supérieures, Mme de Rémusat, Mme Guizot, Mme Necker de Saussure, avaient traité pour notre siècle ce sujet, où l’innovation est si difficile, où le paradoxe est si dangereux. Leurs ouvrages élevés et délicats ont été lus par les philosophes et par les femmes. Il s’agit ici d’une œuvre plus modeste, de réunir d’utiles conseils pour les institutrices et pour les enfans, et de renfermer quelques vues nettes et quelques principes éprouvés dans un livre simple et d’une étude facile. C’est ce mérite que l’Académie a voulu reconnaître, et qu’elle couronne dans l’ouvrage judicieux et pur de Mlle Lajollais.

Cherchant du reste dans les récompenses dont elle dispose un encouragement pour le travail, un supplément à ce que l’état ne peut faire, elle a réservé une autre médaille pour M. Pauthier, jeune savant plein d’ardeur, qui, dans une traduction collective des Livres antiques de l’Orient, a rassemblé comme en un foyer les vérités éparses de la morale primitive.

Enfin, l’Académie a consacré une de ses médailles à honorer les recherches de M. Onésime Leroy sur le plus touchant ouvrage que la morale chrétienne ait inspiré, l’Imitation de Jésus-Christ, cette suite de l’Évangile composée par Gerson dans le bannissement et le malheur, et mise en vers, quelquefois sublimes, par Corneille vieillissant et méconnu.

L’étude approfondie, et pour cela même la traduction fidèle et expressive des monumens étrangers est un travail que l’Académie a particulièrement recommandé. Elle ne le borne pas aux grands génies de l’antiquité et des littératures modernes ; elle y comprend tous les temps et toutes les œuvres remarquables de l’esprit humain. Le moyen-âge, avec ses souvenirs mêlés et ses pressentimens créateurs, n’en pouvait être exclu. Il y a telle vérité qui reçut, à cette époque, une évidence dont l’éclat ressort des ténèbres même qui l’entouraient ; il y a telle grande ame qui parut alors d’autant plus digne d’admiration qu’elle s’élevait seule et d’elle-même. Qu’un écrivain du XIIe siècle ait été le précurseur et le maître de Descartes dans la démonstration spiritualiste de l’existence et des attributs nécessaires de Dieu, qu’il y ait appliqué une forme de raisonnement admirée et presque enviée par Leibnitz, c’est un fait précieux dans l’histoire des lettres. Mais le travail même de ce philosophe du moyen-âge, qui fut un saint archevêque, les deux traités d’Anselme de Cantorbéry, le Monologium et le Proslogium, ne méritaient-ils pas d’être éclaircis par la science moderne, et mis sous nos yeux dans une version intelligente et fidèle, qui rendît avec clarté le langage de ces temps, où la pensée philosophique était souvent aussi subtile et aussi déliée que la vie commune était rude et barbare ? C’est là, messieurs, la tâche qu’un homme de talent, nourri dans les lettres et dans l’histoire, s’est proposée. L’Académie décerne à M. Bouchitté la première médaille du prix de traduction.

D’autres travaux de même ordre ont partagé les suffrages de l’Académie