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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

sons, ni terres, ni denrées ; tout chez eux était à chacun et à tous. Ils vivaient sous un toit assigné, mais la porte en demeurait constamment ouverte au coreligionnaire. Leurs repas, pris en commun, donnèrent naissance à ces agapes célèbres dans les premiers âges de la chrétienté ; leur continence devint la règle des ordres monastiques. On retrouve sans peine dans la vie de ces sectaires notre régime conventuel, qui impliquait l’abandon de toute richesse particulière au profit de la fortune collective ; on y découvre l’origine des biens de main-morte, des bénéfices, des redevances de toute nature qui défrayaient les besoins des corporations religieuses. Mais ce qu’il faut voir dans ces accidens de l’existence sociale, c’est moins le fait en lui-même que le mobile. Dans cet abandon du droit individuel, ce n’est pas la jouissance que l’on cherche, mais le sacrifice ; on n’y voit pas un plaisir, mais une épreuve. On sait bien que ce n’est point le bonheur sur la terre, on espère que ce sera le salut dans le ciel. La communauté est une expiation à laquelle on se résigne par piété, par fanatisme ; on comprend qu’elle n’est possible qu’avec l’esprit de détachement, de renoncement. Aussi n’y a-t-il rien à conclure de ces réalisations partielles, à moins qu’on ne prétende convertir le globe entier en un vaste monastère.

Diverses sectes ont même poussé les choses plus loin : elles ont admis le mélange des sexes dans la communauté, et substitué le travail collectif à l’oisiveté systématique du couvent. De ce nombre sont les moraves. Le lien principal de leur association est l’ascendant religieux des chefs, leur bienveillance et leur dévouement sans bornes. On obéit volontiers à qui commande avec justice. Les moraves vivent en commun dans de vastes établissemens. Chaque frère exerce un métier ou un art, et le produit de son travail est versé à la masse. Il n’y a entre eux d’autre hiérarchie que celle de l’âge. On distingue divers chœurs dans chaque maison, des chœurs d’hommes et de femmes, de veufs et de veuves, de garçons et de filles. Les enfans sont élevés ensemble, comme s’ils appartenaient au même père. Chez aucuns sectaires, le mysticisme n’exerce un empire plus grand : leur dévotion à Jésus remplit entièrement leurs ames. Les jeunes filles sont les épouses du Sauveur ; leurs maris n’ont que le droit de procureurs fondés. La plaie latérale du Christ est l’objet d’une adoration particulière ; on voit cette plaie figurée sur leurs livres et sur les portes de leurs établissemens. Des hommes qui se passionnent dans ce sens doivent évidemment regarder leur organisation temporelle comme un objet secondaire, et y apporter des dispositions qui