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drait une agglomération de peuples ayant le même type, modifié suivant les diverses latitudes, comme en Europe. Il est difficile de prévoir quelle serait la forme de leurs gouvernemens. Les tendances de la nation, ses habitudes, la portent aujourd’hui vers un gouvernement absolu ; mais les idées nouvelles, au moyen desquelles la révolution se serait opérée, auraient d’abord modifié les mœurs et les coutumes. En politique, les réactions sont toujours violentes ; ainsi nous avons vu les colonies espagnoles de l’Amérique passer tout d’un coup et sans transition de l’esclavage social le plus complet à toutes les exagérations du gouvernement républicain. Les mêmes causes produiraient probablement en Chine les mêmes effets, avec cette différence qu’en Chine les habitudes de travail et d’industrie de la population, conditions de tranquillité et d’affermissement qui n’existaient pas en Amérique, tempéreraient les excès de la liberté. Ainsi, tout en regardant comme certaines la chute du gouvernement et la division de l’empire céleste, je ne considère pas comme difficile la nouvelle organisation sociale du pays. Une autre cause contribuera encore à donner en très peu de temps aux nations de la grande famille chinoise une consistance politique ; c’est la population compacte de ce pays. En Amérique, les populations sont disséminées sur un immense territoire où les communications sont très difficiles ; c’est ce qui fait qu’elles n’ont pas de force pour se constituer. La formation d’un corps social y est presque impossible. Dans l’Inde, où la population est plus en harmonie avec l’étendue du sol, quoique infiniment moins qu’en Chine, une forte organisation sociale est peut-être plus difficile encore ; la population y est divisée en castes religieuses ennemies les unes des autres, et non-seulement il n’y a pas entre les diverses familles hindoues de lien qui puisse les unir, mais encore elles sont séparées les unes des autres par des différences radicales, religieuses et politiques. En Chine, au contraire, tous les élémens sont prêts pour une vigoureuse constitution ; changez la face du gouvernement, et vous trouvez déjà réunies toutes les conditions de force et de stabilité qui font la puissance de l’Europe. La Chine est un pays d’agriculture, d’industrie, de commerce ; elle est habituée à vivre sous l’empire de lois homogènes ; elle aura donc peu de chose à faire pour devenir une puissante fraction du monde civilisé.

Les nations voisines seront nécessairement entraînées dans le même mouvement ; le Japon, dont l’isolement politique est plus complet encore que celui de la Chine, parce que les localités ont permis au gouvernement de resserrer davantage le réseau qui sépare ce pays du reste du monde, le Japon sera obligé, par la force même des choses, d’ouvrir ses portes à la civilisation envahissante ; il ne pourra rester seul debout au milieu de cette ruine générale des gouvernemens fondés sur le système de l’exclusion et de l’isolement. La Cochinchine, le Cambodge, le royaume de Siam, suivront la même impulsion. La péninsule malaise formera une nation à part, ou se rattachera à une des grandes fractions dont je viens de parler, au royaume de Siam, par