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LETTRES DE CHINE.

quatorze cents hommes au plus, a dû porter une atteinte terrible à la croyance populaire en Chine de l’invincibilité des troupes de l’empire céleste. Rien ne peut se comparer, ajoute M. de Rosamel, à la lâcheté des Chinois. Ces hommes montraient tant de bassesse et de vile soumission, ils étaient si rampans et si plats dans leur défaite, qu’ils ne faisaient pas pitié, ils dégoûtaient et donnaient envie de repousser du pied leurs importunes salutations. »

Le premier mandarin de Chin-hae s’était enfui dès le commencement de l’attaque. Le soir du même jour, il s’empoisonnait à Ning-po. Du reste, on a vu, à la suite de presque toutes les actions qui ont eu lieu, de nombreux suicides. À Amoy, le commandant en chef se noya, dit-on, sous les yeux des Anglais, en s’avançant froidement dans la mer jusqu’à ce qu’il perdît pied et disparût. Voici comment le lieutenant-général de la province de Chee-kiang rend compte à l’empereur de la mort de ce fonctionnaire : « Après avoir, dit-il, conduit les troupes de l’empire depuis huit heures jusqu’à cinq heures, voyant que les hauteurs de Chaou-pa-ou et de Kin-ke étaient tombées au pouvoir de l’ennemi et que la ville était perdue, Yu-keen, pensant qu’il ne pouvait plus rien faire pour son pays, s’avança jusqu’au bord de l’eau ; il tourna ses regards vers la porte céleste, et, courbant la tête devant la majesté de l’empereur, il s’élança dans la mer, mourant victime du sentiment invariable de son devoir. » Cette mort ne vous touche-t-elle pas, monsieur, et n’y a-t-il pas quelque chose d’éminemment noble dans cette loyauté qui, à cette heure suprême, n’abandonne pas le sujet de l’empereur, et dans cette résolution de ne pas survivre au déshonneur de sa défaite ? À Chin-hae, des soldats, en s’enfuyant, se coupaient la gorge, se noyaient ou se précipitaient des hauteurs. D’où vient donc que ce courage qui leur fait affronter une mort volontaire ne les pousse pas à opposer à l’ennemi une résistance plus énergique ? Ce fait s’explique, je le crois, par le découragement qu’ils éprouvent en voyant que leurs moyens de défense, sur lesquels ils fondaient tant d’espérance, sont si faibles en comparaison des moyens d’attaque de leurs ennemis. Ils sentent que toute résistance est inutile, et leurs habitudes de paix, la douceur naturelle de leurs mœurs, les rendent d’ailleurs peu susceptibles même du sentiment si naturel et si énergique qu’inspirent la vengeance et le désespoir.

On trouva à Chin-hae une fonderie de canons. J’ai déjà dit que les nouveaux canons chinois sont fondus en imitation des canons européens, seulement l’ame des canons n’est pas forée ; la fonte laisse le canon déjà creusé ; l’ame est ensuite polie avec une espèce d’écouvillon en acier garni de fortes pointes comme une râpe.

L’armée anglaise passa trois jours à détruire l’approvisionnement considérable de poudre, de fusils à mèche, d’arcs, de sabres, de lances et d’armes de toute espèce que contenaient les arsenaux de Chin-hae ; cette précaution, au moment où l’armée allait remonter vers Ning-po, était sage. On ne voulait pas laisser au pouvoir d’une immense population un dépôt d’armes avec lesquelles elle aurait pu inquiéter les derrières de l’armée expéditionnaire. Mais