Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
LETTRES DE CHINE.

tentatives d’incendie, se multipliaient, malgré la sévère surveillance de la police britannique. Vers l’époque du départ de la flotte anglaise, le bazar chinois, repaire d’une foule d’hommes sans aveu, devint la proie des flammes. La vengeance des Chinois restés fidèles à leur drapeau venait même de temps en temps chercher et punir, jusqu’en vue des patrouilles anglaises, les traîtres qui abandonnaient la cause sacrée de la patrie.

J’arrive, monsieur, au récit de cette campagne de six semaines pendant laquelle Chusan et trois villes considérables du littoral tombèrent au pouvoir des Anglais. Le 26 août, Amoy (Hea-moun), l’un des boulevards de la Chine, défendue par plus de deux cents pièces de canon, fut prise par les anglais. Toute la perte des agresseurs se réduisit à deux hommes tués et quelques blessés ; les Chinois perdirent cinq à six cents hommes. On assure que les artilleurs de l’empire céleste restèrent courageusement à leurs pièces jusqu’au moment où les troupes de débarquement, les prenant par derrière, jonchèrent les remparts de leurs cadavres. Ce fut alors un sauve qui peut général, et les Anglais se virent bientôt maîtres de toutes les fortifications.

La ville d’Amoy fut occupée pendant quelques jours par les Anglais, qui prétendent, ce que, du reste, je crois très volontiers, que les maisons des particuliers furent respectées ; les établissemens publics seuls furent pillés. On trouva à Amoy, que les Chinois considéraient comme inexpugnable et qu’ils avaient garnie d’une double ceinture de défenses, un matériel très considérable. Les Anglais assurent que, si cette place, protégée qu’elle était par la nature plus encore que par ses fortifications, eût été défendue par une garnison européenne, toutes les flottes de l’Angleterre auraient échoué devant elle. Quelques heures de combat la firent cependant tomber en leur pouvoir. Une fonderie de canons y avait été récemment établie ; on avait déjà fondu trente ou quarante canons de bronze et autant de canons de fer. Tout y était préparé pour une fonte de canons sur une très grande échelle, et il était aisé de voir que l’art singulier des Chinois pour l’imitation avait déjà produit les résultats qu’on devait en attendre ; l’artillerie qu’on trouva à Amoy était bien supérieure à celle qui défendait la rivière de Canton. Dans l’espace de quelques mois, les Chinois avaient fait des progrès remarquables. Malheureusement pour l’empire céleste, l’industrie chinoise peut entrer dans des voies plus larges en bien moins de temps qu’il n’en faudrait pour faire de ce peuple une nation guerrière. Il était facile aux Chinois d’imiter les canons européens, dont quelques-uns étaient en leur possession ; mais ils n’avaient personne pour leur enseigner les principes stratégiques d’après lesquels une fortification doit être construite ; les affûts de leurs canons étaient encore presque enchâssés dans une épaisse maçonnerie, pointés en ligne droite, et pour ainsi dire immobilisés. Une des grandes fautes du système militaire chinois est surtout de ne pas s’attacher à défendre les hauteurs qui commandent leurs forts en places de guerre : c’est toujours en les contournant, après une courte canonnade que les Anglais s’en sont emparés. Les Anglais pri-