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partit également d’Hong-kong et remonta la côte. Les rapports que cet officier distingué a envoyés au ministère de la marine ont été publiés. M. de Rosamel arriva à Chusan peu après la reprise de cette île ; il fut témoin de la prise de Chin-hae ; il visita Ning-po. Il a donné, dans le cours de son intéressante mission, des preuves incontestables d’un zèle à toute épreuve et d’une haute intelligence. C’est à ses rapports, et surtout aux longues conversations que j’ai eues avec lui sur les grands évènemens dont il venait d’être le témoin, que je dois en grande partie les renseignemens qui vont suivre sur les opérations de l’expédition anglaise ; fidèle au plan que je me suis tracé, j’en abrégerai le récit autant qu’il me sera possible.

Avant de partir d’Hong-kong, M. de Rosamel avait remarqué le grand développement que commençait à prendre cet établissement. Dans les premiers jours de septembre, on y comptait déjà plus de vingt mille Chinois ; il est vrai que c’était l’écume de la population de la province de Canton. Le contact continuel des étrangers avait formé dans cette ville et aux environs une population mixte, peu nombreuse, il faut le dire, mais à laquelle venaient se rattacher tous les gens sans aveu qui abondent nécessairement partout où il y a une grande misère. Les voleurs dont tout le cours de la rivière de Canton est infesté, les fumeurs d’opium rigoureusement poursuivis par la loi, venaient chercher un refuge à l’abri du pavillon britannique. Les salaires élevés offerts par le gouvernement anglais et par les particuliers aux ouvriers employés à percer des routes ou à construire des maisons attiraient aussi à Hong-kong un grand nombre d’individus que les désastres de la guerre condamnaient à mourir de faim. Ce n’était pas là une population attachée au sol ; aussitôt que ses besoins étaient satisfaits, elle s’empressait de quitter cette terre profanée et se renouvelait sans cesse. Ceux-là seuls que leurs crimes chassaient à jamais de leur terre natale se fixaient à Hong-kong d’une manière plus durable ; il est vrai que presque tous les établissemens coloniaux n’ont pas eu une origine plus pure. Mais ne croyez pas, monsieur, que les Chinois d’Hong-kong aiment la main qui les nourrit, ne croyez pas qu’ils bénissent la loi qui les protége. Non, la révolution morale que l’Angleterre se flatte d’opérer au sein de l’immense population du céleste empire n’a pas adouci le sentiment de haine que lui portent ceux même qu’elle fait vivre. Deux cents ans de commerce non interrompu n’ont pas fait à la cause de la civilisation européenne deux cents prosélytes. Quand les relations entre les deux nations étaient pacifiques, quand les Anglais habitaient Canton, s’enrichissant eux-mêmes et répandant autour d’eux l’aisance qui accompagne toujours une grande prospérité commerciale, quand leurs factoreries étaient remplies de majordomes, de domestiques et de marchands chinois qui s’engraissaient des miettes tombées de leur table, il n’était pas un seul Chinois parmi tous ces habitans privilégiés de la terre des fleurs, qui ne conservât au fond de son cœur la haine et le mépris de sa race pour la race étrangère. À Hong-kong même, ces sentimens se manifestaient d’une manière non équivoque. Des attaques nocturnes, des