Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
REVUE DES DEUX MONDES.

dehors du Bocca-Tigris, et qu’il pourrait alors relever toutes les forteresses et chercher une autre occasion d’attaquer et d’exterminer les barbares à Hong-kong, et de rendre ainsi au territoire son ancienne intégrité.

« Il supplie votre majesté de le faire livrer, lui et ses collègues, au tribunal des châtimens, et de faire faire une sévère investigation de la conduite de Ke-kung, Eleang et des autres hauts officiers.

« Respectueusement, il présente ce rapport des évènemens auxquels les prières du peuple l’ont conduit ; il le présente le front courbé par la terreur que lui inspire la céleste majesté, et il avoue qu’il a manqué d’intelligence et qu’il est très coupable. — Mémoire respectueux. »

Ce rapport n’est certes pas sans quelque habileté. Le haut commissaire commence par chercher à sauver sa responsabilité en détaillant toutes les précautions qu’il a prises pour assurer la défense de la place ; il parle même d’un premier triomphe ; il avoue bien ensuite sa défaite, mais il la rejette sur la lassitude de ses soldats, sur la faiblesse de son artillerie, sur la masse de renforts arrivant inopinément au secours de l’ennemi et le sauvant d’une destruction inévitable. Et avec quelle adresse ne colore-t-il pas sa soumission aux exigences des barbares ! Il ne cède, dit-il, que momentanément ; il ne cède que pour sauver la ville, pour rendre la rivière libre, afin de relever les fortifications et de chercher une nouvelle occasion d’exterminer les ennemis du pays ; il termine enfin son rapport par une allusion à la cession d’Hong-kong par Keschen, et il espère se relever de sa disgrace en lavant cette tache faite à l’honneur de la céleste dynastie, en purifiant le territoire de l’empire de toute souillure des étrangers.

Le paiement de la rançon de Canton est expliqué bien plus clairement encore dans un avis des autorités provinciales relatif aux évènemens dont la ville venait d’être le théâtre. Après avoir relaté l’attaque de nuit contre la flotte anglaise et la prise par les barbares des défenses extérieures de Canton, « vers le soir, disent-elles, les hanistes et les linguistes supplièrent sa seigneurie Yu, le kwang-choo-foo, d’aller trouver Elliot et de traiter de la paix. Quand la somme de six millions de dollars eut été demandée, les hanistes affirmèrent qu’après avoir réuni tous les fonds qu’ils avaient en leur pouvoir, il manquerait encore une somme de 2,800,000 taels, et que, comme les circonstances étaient très pressantes et que les marchands de thé et de soie s’étaient tous retirés, il leur serait impossible d’emprunter cette somme ; ils supplièrent donc son excellence de vouloir bien ordonner que le trésor public la leur prêtât afin de satisfaire à la demande des étrangers, et qu’ils la rembourseraient par termes dans l’espace de quatre années. En conséquence les commissaires, quoique sachant très bien que c’est exclusivement le devoir des hanistes de payer cette dette, ont considéré qu’il y avait un rapport immédiat entre ce paiement et le règlement des affaires avec les barbares, et ils ont acquiescé à leur demande. »

Le paiement des six millions de dollars n’était donc plus considéré que comme un simple déboursé fait par les hanistes, qui se trouvaient seuls res-