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LETTRES DE CHINE.

les forcer à s’éloigner. Enfin, continuant leur marche, les barbares s’élancèrent tout à coup, débarquèrent près de la ville, et, marchant droit vers les forts qui défendent la grande et la petite porte du nord, ils en prirent possession. Ils attaquèrent alors la ville de trois côtés ; leurs flèches (fusées à la congrève) couvraient partout le ciel ; leurs boulets labouraient partout la terre ; partout les maisons étaient en feu, et les soldats n’avaient pas un seul endroit où ils pussent se maintenir ; nos canons fondaient sous le feu des barbares. L’incendie des maisons, la destruction de nos canons, rendirent notre artillerie inutile. Les troupes de toutes armes, les officiers de tout rang, étaient partout blessés. Dans cet état de choses, nous fûmes obligés de nous retirer dans l’enceinte des murs de la ville. Là, nous trouvâmes toutes les rues remplies d’un peuple pleurant et gémissant, poussant vers le ciel des cris de détresse, et nous suppliant instamment de prendre des mesures pour sauver la ville. Votre ministre, à la vue de ce triste spectacle, sentit son cœur mollir, et, cédant aux désirs du peuple, il envoya le brigadier Heung-suyshing sur la muraille, afin qu’il vît ce qui se passait au dehors. Il aperçut un grand nombre de chefs barbares montrant par leurs gestes le ciel et la terre ; il ne pouvait deviner ce qu’ils demandaient. Il leur envoya un interprète, qui rapporta que ces chefs suppliaient le grand général de sortir de la ville et d’aller les trouver, car ils avaient à se plaindre à lui de leur grande misère. Là-dessus, l’officier-commandant répondit avec colère : Comment le grand général de la céleste dynastie pourrait-il se rendre aux désirs de misérables comme vous ? Il n’est venu ici par l’ordre du grand empereur que pour vous combattre. Et alors lesdits barbares ôtèrent leurs chapeaux et firent un profond salut, et renvoyèrent les hommes qui les accompagnaient, et, jetant leurs armes par terre, ils saluèrent encore le mur de la ville. Et Yung-fu, en ayant obtenu l’autorisation des esclaves de votre majesté, leur demanda de nouveau ce qu’ils voulaient, et ils répondirent tous que le prix de l’opium qu’ils avaient livré, montant à plusieurs millions de taels (le tael vaut environ 7 fr.), ne leur ayant pas été payé, ils demandaient avec instance qu’on leur accordât un million de taels, et qu’ils rassembleraient immédiatement leurs forces et se retireraient en dehors du Bocca-Tigris. Ils ne désiraient rien de plus, ajoutaient-ils, et la tranquillité serait rétablie aussitôt, ils rendraient tous les forts qu’ils avaient pris. Je leur parlai d’Hong-kong, et ils me répondirent que cette île leur avait été donnée par le ministre Keschen, et qu’ils avaient des documens qui prouvaient cette donation.

« Votre ministre, se rappelant que la ville a été si souvent inquiétée et mise en danger, que tout le peuple était comme mort, a pensé qu’il était convenable de céder momentanément, et de promettre aux barbares ce qu’ils demandaient. Votre ministre a réfléchi maintes fois à toutes ces choses, et il lui a semblé qu’exposer ainsi une ville isolée à tout l’effort de la guerre, c’était assurément détruire tous ses élémens de prospérité ; que, dans cette localité, une grande armée ne saurait trouver l’occasion de déployer toutes ses forces. Il a donc pensé qu’il était de son devoir d’attirer l’ennemi en