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LETTRES DE CHINE.

été non-seulement, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, un acte impolitique, mais encore un acte de barbarie dont aucun agent anglais n’eût été capable.

M. Elliot ne fit donc, dans cette occasion, que ce que la nécessité lui imposait ; il fut fidèle à la ligne de conduite qu’il avait suivie jusque-là. Il avait cherché à tenir le port de Canton ouvert au commerce anglais ; satisfait d’avoir atteint ce but, il n’aurait probablement pas songé à recommencer les hostilités dans la rivière de Canton, si les Chinois ne se fussent chargés de lui apprendre que leur haine pouvait sommeiller, mais qu’elle n’était pas éteinte. Après leur avoir infligé le châtiment que demandait ce qu’on appelait assez singulièrement leur agression, il fallut bien rentrer dans les conditions de la lutte, c’est-à-dire essayer de renouer les relations commerciales, tout en se préparant à de nouveaux actes d’hostilité.

Quelques jours après la prise des hauteurs de Canton, il se passa des évènemens qui durent alarmer les Anglais sur les résultats futurs de la guerre, en leur prouvant que la nation chinoise n’était pas aussi inerte qu’ils se l’étaient représentée jusque-là, et que la population pourrait avoir la volonté de se défendre, si elle était attaquée dans ses foyers. Les troupes anglaises qui occupaient les hauteurs s’étaient disséminées dans les villages voisins, et y avaient commis de nombreux excès, malgré toutes les précautions prises par les chefs de l’expédition. Des femmes avaient été poursuivies et outragées ; or, c’était là un crime irrémissible aux yeux des Chinois, qui divinisent le vice chez eux et le couvrent de fleurs, mais qui regardent comme une souillure nationale le simple contact d’une femme chinoise avec un étranger. En un clin d’œil toutes les populations voisines s’armèrent de fourches et de bâtons ; quinze mille villageois se ruèrent sur les détachemens isolés, et osèrent même attaquer les régimens dans leurs cantonnemens. La conflagration menaçait de devenir générale ; de nombreux placards, affichés dans tous les villages, appelaient les populations aux armes. Il y eut un moment, je ne dirai pas d’alarme, mais d’inquiétude parmi les chefs de l’expédition anglaise. On pouvait, en un seul instant, voir anéantir à jamais les espérances commerciales auxquelles on avait fait tant de sacrifices. Des représentations énergiques furent faites aux autorités de Canton, afin qu’elles arrêtassent le désordre ; on invoqua leur intervention comme un devoir d’humanité, et comme le seul moyen d’arrêter le carnage que les troupes anglaises seraient obligées de faire, dans l’intérêt de leur propre défense. Ce n’était pas là une considération qui dût avoir beaucoup de poids auprès des autorités d’un pays où la population est comptée pour si peu de chose ; mais les mandarins sentirent tout le danger que le gouvernement courrait, si le peuple, après avoir vu les troupes tartares dissipées sous ses yeux par quelques coups de canon, venait à apprendre enfin sa véritable force : aussi accueillirent-ils les réclamations anglaises, et ils employèrent avec empressement les menaces, les promesses et la séduction pour faire rentrer les paysans dans leurs villages.

Voici la traduction d’un de ces manifestes populaires. Jusqu’ici nous n’avons vu que le gouvernement aux prises avec les étrangers ; il ne sera pas