Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/1022

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1018
REVUE DES DEUX MONDES.

fixer les yeux sur lui, et que, sous ce rapport, un gouvernement dont il eût été l’espion aurait naturellement désapprouvée. Il est à ceci une réponse fort simple. Le colonel a pu commencer par entrer purement et simplement au service d’Abd-el-Kader, et devenir par la suite un émissaire secret de la politique anglaise. C’est là un point sur lequel notre gouvernement sera aisément édifié, si surtout, comme les journaux l’ont prétendu, les armes saisies sur le bâtiment qui portait le colonel proviennent en effet des arsenaux britanniques. On ne pourrait alors se dispenser d’adresser des remontrances formelles au ministère anglais, et de lui demander compte des manœuvres par lesquelles il aurait ainsi essayé de fomenter, dans nos colonies, une guerre sanglante et onéreuse[1].

Sans raisonner plus long-temps sur une simple hypothèse, nous signalerons, dans le livre qui vient de nous occuper, une dissimulation flagrante. En racontant ses campagnes auprès de l’émir, le colonel Scott laissait entendre qu’il avait complètement renoncé, en quittant l’Afrique (au mois de janvier dernier), à servir Abd-el-Kader autrement que de sa plume. Dans le même moment, il s’occupait, à ce qu’il semble, d’approvisionnemens militaires pour le compte de notre ennemi, et se ménageait les moyens de les dérober à la surveillance dont toutes ses démarches devaient être l’objet. Le code militaire admet peut-être ces fausses déclarations comme des stratagèmes de bon aloi ; mais il ne faut pas oublier qu’il autoriserait en revanche contre M. Scott des mesures passablement rigoureuses. Nous ne lui conseillerions donc pas de l’invoquer. Alors et s’il consent à être jugé d’après le droit commun, s’il se reconnaît soumis aux lois générales que tout homme honorable se fait un devoir de respecter, il pourra qualifier lui-même la conduite équivoque et tortueuse qu’il a tenue. S’il en méconnaît la portée, nous lui rappellerons l’histoire bien connue d’un officier russe qui, surpris dans le cours d’une mission pareille à celle dont M. Scott a pu être investi, et formellement désavoué par son gouvernement, se considéra comme déshonoré. Vainement, — il était parvenu à fuir, — lui avait-on accordé une assez forte pension, qui lui permettait de vivre à son aise, sous un faux nom, dans quelque district de l’empire. Le malheureux ne put survivre au sentiment de sa dégradation, et se suicida peu de mois après.


O. N.

V. de Mars
  1. Les journaux annoncent aujourd’hui que M. Scott a été mis en liberté, après quelques heures de détention, sur la demande formelle de M. Saint-John, consul-général d’Angleterre à Alger. Ceci nous porte à douter que les motifs de l’arrestation de M. Scott aient été ceux dont on a parlé.