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REVUE. — CHRONIQUE.

avaient les premiers engagé l’affaire, se séparèrent de la foule et se formèrent en détachement pour battre en retraite. Ceci me donna l’occasion d’entrer au jeu : je les chargeai vigoureusement avec mon ami Bash-Tubji et ses artilleurs ; nous les menâmes le sabre aux reins jusqu’à un demi-mille de la ville. Cette équipée leur coûta sept morts, et nous apprîmes ensuite qu’ils avaient eu plus de cinquante blessés. Dans des circonstances comme celles où nous nous trouvions, il n’eût pas été prudent de continuer la poursuite ; aussi revînmes-nous à Tegedempt, d’où j’eus soin de faire partir plusieurs patrouilles de cavalerie chargées d’explorer les environs. Des vedettes furent envoyées sur toutes les hauteurs, et si nos ennemis avaient été tentés de revenir à la charge, ils nous auraient trouvés en état de leur tenir tête. On nous apprit alors que cinq mille d’entre eux, campés à trois lieues de nous, attendaient sans aucun doute, pour nous attaquer, l’arrivée de leurs bons amis les Français.

« Je pensai dès-lors que cette tribu courait la chance d’une razzia ; maintenant elle a consommé sa défection et sera traitée quelque jour comme ceux d’Esdama. Ces derniers ont été près d’un an tranquilles avant de voir fondre sur eux l’orage que leur trahison avait appelé. Rassurés par ce long délai, ils croyaient oubliées d’Abd-el-Kader les relations amicales qu’ils avaient eues en 1840 avec les troupes françaises : tout à coup un tribut de 40 mille dollars leur fut demandé. En même temps que l’ordre de paiement, les troupes de l’émir étaient arrivées, et la razzia commença immédiatement après le premier refus. C’est la vraie méthode, et l’émir, en ces matières, ne se gêne pas plus que les Français eux-mêmes.

« Mon ami Muley-Tijeb se distingua particulièrement en cette occasion, et fit honneur au sang de Mahomet, son glorieux ancêtre. Lancé à la poursuite des Arabes fugitifs, il parvint à rejoindre l’un d’eux, et, d’un seul coup de yatagan, lui fendit la tête jusqu’aux oreilles. Il ne se rappelle jamais sans un certain plaisir ce tour de force et d’adresse. »

Après tous ces extraits, il est à peu près superflu d’insister sur les défauts du livre auquel nous les empruntons. Comme manifeste politique, il a justement la valeur de ces proclamations par lesquelles un officier de recrutement essaie d’agir sur une foule ignorante et crédule ; comme voyage, il ne renferme que les souvenirs individuels d’un insouciant soldat, et le pays qu’il décrit reste encore à explorer, tant sous le rapport de la géographie que sous celui des connaissances archéologiques ; enfin comme morceau d’autobiographie, — et c’est son principal mérite, — nous avons vu quelle espèce de caractère il nous révèle.

En somme, ce journal ne nous met pas à même d’apprécier exactement le rôle ambigu du colonel. Il n’est pas impossible que M. Scott soit en effet un simple officier de fortune guerroyant et cherchant les aventures pour son profit ou son plaisir ; mais quiconque sait les habitudes du Foreign Office et le soin qu’il prend d’avoir partout des agens irresponsables, ne trouverait pas fort étonnant que M. Scott eût cette qualité sous-officielle.

On objectera sans doute la publication même de son voyage, de nature à