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REVUE. — CHRONIQUE.

d’eux ; mais il ne les convoque de fait que lorsqu’il se met lui-même en campagne. Cette institution a, comme on le voit, beaucoup de rapports avec les colonies militaires de l’empereur Nicolas.

« Le juif chez lequel nous étions logés est un orfèvre. Il m’informa qu’un de ses confrères, Arabe de naissance et de religion, avait à son service trois Espagnols achetés, l’un cinq, l’autre sept, le troisième dix dollars. C’était là un objet d’envie pour mon hôte, qui, sans nul doute, se serait bien volontiers procuré des apprentis à ce taux ; mais on ne permet pas aux juifs d’avoir des esclaves. Les nègres sont nombreux, et cependant plus chers. Leur prix varie, suivant l’âge et le sexe, de trente à quatre-vingts dollars. On a vu payer une négresse remarquablement belle jusqu’à cent dollars ; c’est le prix le plus élevé dont j’aie entendu parler. Les esclaves blanches, quand elles sont jeunes et jolies, valent quelquefois jusqu’à trois cents dollars ; mais, lorsqu’elles sont d’un extérieur peu agréable, ou parvenues à ce que les Français appellent un certain âge, elles n’ont pas plus de prix qu’une négresse du même ordre. »

Encore quelques détails qui mettront le lecteur à même d’apprécier la sécurité dont jouissent les Arabes sous la protection de l’émir.

« Vers minuit, un coup de fusil partit de la tente de son altesse. Je reconnus à la détonation que l’arme était chargée à balle ; cependant cette circonstance m’alarma très peu, vu la coutume arabe de tirer indifféremment, sous le moindre prétexte, et sans économiser le plomb. Plus tard, des informations m’arrivèrent. Il s’agissait d’un Arabe du désert blessé par un des esclaves noirs du sultan, dans l’abattis de branches qui forme l’enceinte de la tente occupée par sa famille. Ce misérable comparut le lendemain devant le conseil privé. D’après ses aveux, il paraît que d’abord il s’était glissé vers nos tentes, mais, nous trouvant éveillés, il avait voulu pénétrer dans celle où est le trésor. Je ne sais quelle circonstance imprévue ayant encore fait échouer cette dernière entreprise, il s’était retiré, lui cinquième, et avait attendu jusqu’à minuit l’occasion de diriger une nouvelle attaque contre les tentes du sultan. Il protestait, du reste, que son intention n’était pas d’entrer dans celle où résidait la famille, mais dans une autre dressée à côté, et il ajoutait du plus grand sang-froid : « Je suis un chien vraiment malheureux ! À l’incendie de Tegedempt, mes camarades et moi nous fîmes main basse sur tout ce qui nous convint, sans être inquiétés le moins du monde ; mais il paraît que mon temps est venu… J’ai fort bien vu ce chien noir (ajoutait-il en montrant l’esclave vigilant qui l’avait blessé), mais, avec son burnous sombre, dans l’obscurité, je l’ai pris pour un petit âne, d’autant qu’il était à quatre pattes. Aussi a-t-il pu s’approcher tout à son aise et me tirer à bout portant comme un sot que j’étais. »

« Ce franc aveu ne lui valut pas la moindre indulgence, et le drôle fut condamné à être pendu. Seulement, on remit de quelques heures l’exécution de la sentence, qui devait être approuvée par son altesse l’émir…

« Hier, 23, on a exécuté sur la sota (place au marché) de Tegedempt le voleur qu’on avait pris le 18. Les spectateurs étaient arrivés en foule. La