Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/1015

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1011
REVUE. — CHRONIQUE.

après tout, la plus comfortable de la ville. Nous nous y fîmes place, vi et armis, dans les deux meilleures chambres du second étage, après avoir confiné dans une troisième pièce, des trois la plus mauvaise, la famille du propriétaire. Les scheiks, à qui le gouverneur avait ordonné de nous fournir tout ce que nous demanderions, nous apportèrent un assez bon souper le soir même de notre arrivée, et un déjeuner supportable le lendemain matin ; mais le dîner du second jour ne valait pas le diable. Nous l’acceptâmes cependant, peu curieux de nous coucher à jeun. En revanche, ils reçurent immédiatement un message par lequel nous leur faisions savoir que, s’ils osaient se représenter avec une offrande aussi dérisoire, ils auraient le plaisir de sortir de chez nous sans descendre nos escaliers. En même temps, nous donnions ordre qu’on fît au marché, pour notre compte, la provision du jour suivant, et nous écrivîmes au gouverneur qu’Hadji-Taleb allait être informé sans retard des mauvais procédés qu’on avait pour nous, au mépris du firman impérial. Cette démarche produisit l’effet que nous en attendions. Le kaïd, sachant bien que notre plainte le mettait en danger de perdre son poste et l’exposait en outre à payer une grosse amende, nous dépêcha tout aussitôt son secrétaire, chargé de conjurer notre ressentiment. Il nous faisait demander en même temps, pour éviter tout mal entendu à l’avenir, « que nous voulussions bien lui faire passer chaque matin la note de ce qui nous manquait, se chargeant de la transmettre lui-même aux juifs réquisitionnaires. De même, ceux-ci omettant de nous satisfaire en quelque point, nous devions l’avertir et porter plainte. Il mettrait bon ordre à leur inexactitude. » Cette marche fut adoptée, et dès lors la plus grande abondance régna autour de nous. La volaille, les œufs, le mouton, l’agua ardiente (fabriquée par les juifs eux-mêmes avec des raisins et des figues), voire le tabac, nous étaient fournis gratuitement. »

Ce n’est pas, on le voit, sans quelque raison que nous comparions à Dugald Dalgetty le dévoué champion de l’émir. Ne semble-t-il pas, en lisant le passage ci-dessus, que l’on entend l’ex-ritmeister de Gustave-Adolphe se rappeler l’heureuse époque où il commandait la ville de Dunklespiel, sur le Bas-Rhin, « occupant le palais du landgrave, buvant ses meilleurs vins, frappant des réquisitions, imposant des contributions volontaires, et ne manquant pas, en préparant ainsi le dîner de son maître, de tremper ses doigts dans la sauce, comme le doit faire tout bon cuisinier. » Or, à chaque page, nous voyons M. Scott se vanter de quelque belle prouesse dans le même genre : — tantôt rossant un More avec préméditation, et se prévalant ensuite contre ce pauvre diable des hautes protections qui lui sont acquises, — tantôt attirant chez lui quelques jeunes filles curieuses dont l’une, pour avoir été surprise en conversation réglée avec un chrétien, fut enfermée pendant huit jours et rigoureusement tenue au pain et à l’eau. À ne juger le colonel que sur son propre témoignage, il est impossible de ne pas reconnaître en lui un assez mauvais compagnon, sans principes et sans probité, qu’une loi d’attraction très compréhensible avait attiré chez les Bédouins.