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REVUE. — CHRONIQUE.

« En arrivant au village arabe où Ben-Nonam nous avait précédés, nous apprîmes qu’il était parti le matin même d’Oushdah, après avoir payé mille dollars à Bouhanani, chef d’Angad, pour obtenir passage sur son territoire. Dans ces circonstances, il nous parut mieux avisé de nous diriger vers la petite ville de Kaaf. Un peu avant d’arriver à cette destination, notre escorte fit halte de nouveau, et un soldat vint me prier de me séparer pour un instant du convoi. Je compris ce que cela voulait dire, et me rendis à cette invitation bienveillante sous prétexte d’acheter je ne sais quelles provisions. À peine avais-je le dos tourné, que les Arabes commencèrent à se faire payer à leur façon l’argent qu’on leur avait promis. L’avarice de tout retardataire lui valait infailliblement une volée de coups de bâton. Grace à cette méthode, la collecte ne fut pas longue, et nous entrâmes bientôt à Kaaf, où nous vérifiâmes nos pertes. Elles se montaient à trois individus tués et à quatre ou cinq blessés. Les morts étaient deux juifs et une juive ; cette dernière, jeune et jolie fille qui atteignait à peine sa quatorzième année. Son vieux père, dont le matin encore elle était la seule consolation, avait chargé sur son cheval le cadavre de la pauvre enfant, et c’était un spectacle pitoyable que de voir de temps à autre une grosse larme, glissant le long de ses joues flétries, tomber sur ce corps inanimé…

Le jour qui suivit notre arrivée, une caravane juive assez nombreuse, venant après nous, fut l’objet d’une attaque en règle. Les Arabes tuèrent une douzaine de ces voyageurs, et retinrent les autres prisonniers jusqu’à ce que leurs coreligionnaires fussent venus les racheter à raison de trois dollars chacun. Ces infortunés nous arrivèrent le soir, épuisés de fatigue et de faim…

« La route que nous avons faite hier est comptée parmi les plus dangereuses, et la nuit était tombée depuis long-temps lorsque nous sommes arrivés au Fonduque. Quelques-uns d’entre nous ont payé cher l’imprudence qui les avait fait s’aventurer avec des montures fatiguées dans cette expédition nocturne. Ils ne nous ont rattrapés que ce matin au lever du soleil, et dans un négligé déplorable : ils étaient environ une vingtaine, les hommes n’avaient plus que leurs caleçons et leurs chemises ; quant aux femmes, qui laissaient à peine entrevoir la veille un de leurs yeux derrière les plis de leurs haïks, elles étaient livrées sans beaucoup de restriction à nos regards indiscrets. On leur avait à grand’peine laissé le seul vêtement que pouvait réclamer leur pudeur aux abois ; mais celles de leurs compagnes qui avaient échappé au pillage se hâtèrent de leur venir en aide, et lorsque nous reprîmes notre voyage, elles étaient derechef à l’abri d’une admiration sacrilége. »

Les détails géographiques ou historiques donnés par le colonel Scott se bornent à quelques renseignemens assez vagues et assez nonchalamment recueillis. Il vante la campagne située entre Tetuan et Fez comme une des plus belles régions qu’il ait rencontrées dans le cours de ses nombreuses pérégrinations. Elle est riche et fertile, se prêtant en général aux cultures les plus exigeantes, mais particulièrement apte à fournir de magnifiques pâturages.