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tuniques brodées d’or, aux boucles d’oreilles enrichies de pierreries, aux ceintures métalliques qui lui rappelèrent, dit-il, la Rebecca de Walter Scott. Il vante l’éclat de leurs tiares, dont le prix s’élève souvent jusqu’à plusieurs milliers de dollars, et la bonne race de leurs pieds nus dans leurs pantoufles de maroquin rouge.

De Tétouan, le colonel partit en toute hâte pour Tegedempt, qui était alors la capitale de l’émir, et, afin de traverser le pays avec plus de sûreté, M. Manucci et lui se joignirent à une espèce de caravane dans les rangs de laquelle il a trouvé à esquisser quelques physionomies assez heureuses. Comme échantillon, voici celle d’un officier marocain que l’empereur leur avait donné, passeport vivant, pour les sauvegarder jusqu’à la frontière de ses domaines :

« Abd-el-Cream était un petit homme d’une cinquantaine d’années, qui aurait eu environ cinq pieds deux pouces de haut s’il eût pu redresser sa taille et remettre en place ses épaules voûtées. Sa figure sèche et ridée portait la rude empreinte de ce climat dévorant, et l’état de ses mâchoires démantelées pouvait faire supposer qu’il s’était nourri toute sa vie de biscuit de mer au lieu de couscoussous. Son costume, — prenons-le des pieds à la tête, — consistait en une paire de pantoufles jaunes où venaient aboutir ses jambes nues ; au-dessous du genou, les plis d’un large pantalon bleu se trouvaient arrêtés par une coulisse ; une chemise de cotonnade blanche ressemblant, par sa forme et sa façon, à celles de nos femmes, et une large ceinture rouge qui rattachait la chemise et le pantalon, complétaient cette première partie de l’ajustement. Par-dessus était jeté le haïk, belle couverture de laine blanche qui se drape autour du corps et retombe sur l’épaule droite ; puis un manteau à capuchon (burnous) également en laine blanche, et enfin, recouvrant le tout, un second manteau, de la même forme, en très beau drap bleu de fabrique anglaise. Comme tous les militaires que nous avions vus jusque-là, notre respectable protecteur portait le bonnet rouge à forme élevée qu’on appelle fez. Ses armes étaient une épée à fourreau de cuir qui semblait rouillée faute d’avoir servi, comme celle du bon Hudibras, et qu’un cordon tressé suspendait à son cou, plus un long fusil turc à canon simple et à crosse incrustée d’ivoire. Il paraissait fier de posséder une si belle arme, et la tenait soigneusement enveloppée dans un fourreau de drap bleu. »

À la porte de Tétouan, la caravane fit une distribution de burnous et de bonnets rouges : cette précaution est d’usage contre les insultes des Maures ; et un vieux patriarche qui se rencontra parmi les assistans prononça, sur la tête de nos voyageurs, une longue et solennelle prière de bénédiction. Il nous serait assez difficile de donner exactement l’itinéraire du colonel, car il n’a pas joint de carte à son récit ; mais le pays qu’il parcourut en sens divers et sans suivre de route frayée, à cause de l’état de guerre et d’insurrection auquel il était en proie, est celui qu’embrasserait un demi-cercle tracé sur la carte entre les villes de Tétouan et d’Oran. C’est un pays que le fanatisme de ses citadins