Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/998

Cette page a été validée par deux contributeurs.
992
REVUE DES DEUX MONDES.

sique, mais au bruit d’un orchestre complet qui joue les airs les plus variés. Telle est la nouvelle édition du globe, revue et corrigée, que préparent les poètes sociétaires.

Dans le phalanstère,
On fait bonne chère.

Car nous sommes dans l’âge de la guerre gastrosophique, et des expéditions de six cent mille combattans et de deux cents systèmes de petits pâtés vont de temps en temps prendre position sur l’Euphrate, et ouvrir des jeux olympiques pour la confection des vol-au-vent à sauce.

Dans le phalanstère, il n’y a que d’honnêtes gens. Les femmes y sont émancipées, et elles y trouvent l’amour libre et fort. La poésie phalanstérienne se complète par des appréciations des systèmes d’Owen, de Malthus et de Saint-Simon, et par des odes à Fourier, qui est comparé sans façon à Socrate et à Jésus-Christ.

Ainsi, dans l’école fouriériste, les vers sont l’écho fidèle des théories dogmatiques ; ils en reproduisent toutes les hallucinations ; Dieu lui-même est devenu phalanstérien. Il s’amende, il se réforme, car il commence à reconnaître qu’il s’est trompé dans le gouvernement du monde ; les livres de Charles Fourier l’ont éclairé, et il modifie les décrets de sa sagesse pour faire de la mécanique sociétaire. Ce Dieu, qui s’était amusé sans doute jusqu’ici à mystifier sa faible créature, ne commande plus le devoir, mais le plaisir. Le précepte austère de la philosophie antique : souffre et abstiens-toi ; le précepte consolant du christianisme : souffre et espère ; ne sont que des maximes ridicules, acceptables dans un monde enfant. La vie n’est plus une épreuve, mais une question de plaisir, et il suffit à l’homme, pour gagner sa couronne, de travailler à l’éclosion de ses passions. On le voit, dans de pareilles théories, auprès du ridicule, il y a aussi le danger sérieux. Elles n’attaquent pas seulement le bon sens, mais la morale, en substituant au sentiment du devoir et de la résignation l’instinct exclusif du bien-être matériel, de toutes les jouissances ; et cependant des hommes sincères, des hommes d’une grande droiture de cœur, se sont laissé prendre à ces rêves, comme si, de notre temps, les idées les plus fausses avaient toujours chance de trouver des dupes.

Entre les utopistes et les hérétiques, entre Fourier et l’abbé Châtel, nous rencontrons les messies, les saint-simoniens. La poésie saint-simonienne a laissé peu de chose, et les cardinaux bleus du pape de Montrouge n’ont guère chanté que le père, les femmes libres, et la ville nouvelle, cette ville intéressante, avec ses temples du sexe féminin, cette ville qui était l’époux du temple et le temple qui était l’épouse de la ville. L’église française n’a pas été plus féconde, heureusement. Elle n’a produit que des traductions, ou, pour mieux dire, des parodies du Dies irae, du De Profundis et des Psaumes, et quelques prières qui se chantaient, avec accompagnement de violon, dans des magasins de nouveautés transformés en cathédrales.

Sous la bannière des utopistes, mais à distance, marchent les poètes huma-