Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/993

Cette page a été validée par deux contributeurs.
987
STATISTIQUE LITTÉRAIRE.

grace sur le front des indifférens et des sceptiques, qui me paraissent, de nos jours, avoir la majorité.

Qui le croirait ? L’imitation des maîtres tient cependant une large place dans les poésies que nous venons de feuilleter. Les métromanes, prenant les impressions de leurs lectures pour des impressions propres, se sont métamorphosés la plupart du temps en échos plus ou moins fidèles. Écoutons. C’est M. Hugo qui chante ; il s’agit de l’Océan comparé à un lion :

Et moi je croyais voir, vers le couchant en feu,
Sur sa crinière d’or passer la main de Dieu.

L’écho répond :

Hier, comme j’allais en suivant quelque rêve,
Il se fit tout à coup un grand vent sur la grève,
Et j’ai cru voir au loin, dans le couchant en feu,
Les lions de la mer en querelle avec Dieu.

Béranger dit à sa maîtresse :

Vous vieillirez, ô ma belle maîtresse,
Vous vieillirez, et je ne serai plus !

L’écho répond :

Vous vieillirez, vous qui m’êtes si chère,
Vous vieillirez, et, malgré tous nos vœux,
Le temps un jour blanchira vos cheveux
Comme en ce jour il a blanchi la terre.

On pourrait multiplier à l’infini les citations et les exemples, car chaque vers éclatant des maîtres a enfanté tout au moins une élégie ou une ode, et chacune de leurs odes a donné une couvée de petits volumes. M. de Lamartine surtout, on le sait, a les honneurs de l’imitation, et ses arrière-cousins littéraires sont de beaucoup les plus nombreux. Le servum pecus ne sait que parodier les beautés, tout en exagérant les défauts, et les grands poètes n’ont pas de critiques plus redoutables que leurs imitateurs maladroits.

Maintenant descendons des sphères infinies, entrons dans la réalité. Il s’agit de politique, de questions sociales, d’évènemens contemporains. On nous reprochera peut-être de chercher la poésie là où il n’y a guère d’espoir de la trouver. Qu’on se souvienne qu’il n’est point question de poésie, mais de rimes, que cette rapide revue n’a aucune prétention esthétique, que c’est tout simplement un inventaire après décès, et que le seul mérite d’un inventaire, c’est d’être complet.

Depuis trois siècles, les vers de circonstance ont coulé par torrens. Ce pauvre peuple qui a tant souffert, qui a tant de fois manqué de pain, qui s’est tant de fois battu pour les autres, au milieu de ses revers, de ses guerres et de ses famines, se consolait en chantant. Dans le passé monarchique, à défaut de journaux, les quatrains et les chansons avaient leur puissance. Au-