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mens, excepté le mariage, ce qui me rappelle les œuvres spirituelles de M. l’abbé d’Heauville, où se lit cette strophe sur le baptême :

Pour conférer ce sacrement,
Le dispensateur du mystère
En versant l’eau dit simplement :
Je te baptise, au nom du Père,
Et du Fils, et du Saint-Esprit.
Ainsi l’ordonne Jésus-Christ.

N’oublions pas les odes sur la virginité, sur la charité, qui sont ordinairement dédiées à des évêques ou à des demoiselles de l’association du Sacré Cœur, les Vêpres et Complies lyriques, les méditations sur la mort du juste et du pécheur, et le saint temps du carême, les stations au pied de la croix, les élégies sur la destinée du prêtre. Le poète dit au prêtre : Cette terre est un navire dont la croix est le mât, et sur cette terre ou sur ce navire il y a deux sentiers ; l’un conduit au Calvaire, l’autre à la gloire, à la fortune, à l’amour ; choisissez. Le prêtre choisit le chemin du Calvaire, et le poète lui prouve qu’une couronne d’épines vaut mieux qu’une couronne de roses.

Mentionnons encore les hymnes à la Vierge, qui inspirait au moyen-âge de si poétiques élans ; c’est tout un cycle. Repliés dans la prière et morts aux affections terrestres, les mystiques, dans les jours de foi vive, reportaient sur la mère du Christ, sur la seule femme qu’il leur fût permis d’aimer avec leur mère, la passion que la règle avait refoulée dans leur cœur : ils croyaient ressentir dans leur bouche, en prononçant son nom, la suavité d’un rayon de miel. L’été, dans les jardins du couvent, ils avaient lu l’Ave Maria, écrit avec de la poussière d’or, sur les feuilles des lis. Ils avaient vu la Vierge descendre au lit de mort de leurs frères et emporter leur ame au ciel dans un pli de sa robe de lin. Témoins vivans de ses miracles, ils semaient autour d’elle les litanies et les roses, et la poésie débordait, chaste, mystique et toujours tendre jusque dans sa barbarie. Mais six cents ans nous séparent de Gautier de Coinsy et de l’abbé de Clairvaux, et il y a entre nous Luther, Rabelais, Voltaire, quatre-vingt-treize, il y a toutes les ironies, toutes les profanations. Pour retrouver les extases du XIIe siècle, avons-nous le silence de ses cloîtres ? les conférences de Notre-Dame ou de Saint-Séverin réveilleront-elles, sous leur cendre, la foi des vieux temps ? Je ne le pense pas ; et si quelque moine de Citeaux ou de Cluny soulevait sa dalle et revenait au monde, il serait, je crois, grandement surpris d’entendre chanter l’Ave Maria, avec accompagnement de piano, dans une salle de spectacle ou de concert. L’émotion n’est pas là. C’est simplement une affaire de mode ou d’école, et les aspirations mystiques du XIIe siècle, transportées dans le Paris du XIXe, me semblent un véritable anachronisme. Respectons la sainteté des ruines, et ne les dégradons pas par des restaurations maladroites. Je doute fort d’ailleurs que les quinze volumes de poésies catholiques qui se publient, terme moyen, chaque année, suffisent pour faire tomber les rayons de la