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Rosée, Rayons, Éclairs, Soirs d’Orage, Vapeurs, Clairs de Lune, Brises du Matin, Brises du Soir. Les rêveurs byroniens résument, dans un mot psychologique, au dos de leur volume, l’état orageux de leur ame, les amertumes de leur poésie : Deuil, Souffrances, Soupirs, Désespoirs. Nous avons encore dans ce genre le Midi de l’ame et les Poitrinaires. Il est à remarquer que ce symbolisme des titres est littéralement rajeuni de la décadence romaine. Aulu-Gelle en a donné plus d’un exemple, et de son temps on avait des Cornes d’Amalthée et des Prairies, comme nous avons aujourd’hui des Bruyères et des Corbeilles poétiques. Tous les byzantins se ressemblent.

Les préfaces ne sont pas moins curieuses. Soit que le poète écrive sa préface lui-même, ou qu’un obligeant ami l’écrive à sa demande (les amis sont plus à l’aise pour l’éloge), c’est toujours l’histoire d’Olympio se chantant à lui-même, comme on l’a dit, l’hymne de sa destinée dominatrice. Saint-Amand parlait de son génie dans l’avant-propos de Moïse. La phrase a fait école. J’ouvre en effet quelques volumes au hasard, et je lis : — « J’ai hésité long-temps à publier ces vers qui ne me semblaient que passables ; mais des gens d’un goût sûr, à qui je les ai soumis, m’ont assuré que dans le nombre il s’en trouvait de très beaux. » — « Je travaille pour les gens délicats, élégans et bien élevés. » Et ailleurs : « Les demandes du midi devront être adressées chez tel libraire, les demandes du nord et de l’étranger chez tel autre. » Ailleurs encore : « J’avais composé quelques poèmes antiques, mais je ne les publie pas. Je crains qu’on ne me reproche de rappeler trop fidèlement Homère. » Tout cela est écrit sérieusement, et toutes les préfaces, à de très rares et très louables exceptions près, sont de ce style et de cette outrecuidance. On peut les classer comme il suit : Préfaces esthétiques ; le poète développe ses théories littéraires. — Préfaces intimes ; le poète raconte comment il est devenu poète et les cataclysmes qui ont bouleversé son ame. — Préfaces élégiaques ; le poète gémit sur l’indifférence du siècle, qui n’achète pas les volumes que les fils inspirés de la Muse font imprimer à leurs frais. Ces colères des bardes contre le public, qui ne les lit pas, sont souvent, malgré leur teinte sombre, singulièrement réjouissantes. On ne veut plus de vers. Qu’importe ? le poète en fera et en publiera toujours, parce qu’il a été marqué au front, parce qu’il a une mission, parce qu’il a été baptisé dans les larmes, parce que Dieu lui a dit : Va. Son premier recueil est resté chez le libraire ; il en édite un second, et en médite un troisième, parce qu’il faut bien que le génie trouve enfin sa couronne, et c’est un crime de lèse-humanité que de briser sa lyre quand on a reçu d’en haut le pouvoir officiel d’éclairer le monde et de le consoler. Ainsi vont les vanités humaines. Chacun se fait centre, et croit que l’univers gravite autour de lui, et quand les plus inconnus passent dans la foule, qui n’a jamais entendu leurs noms, ils baissent timidement les yeux, pensant qu’on les regarde.

Outre la préface, il y a encore la lettre qui sert d’introduction auprès du public. Lorsqu’on fait, en littérature, sa veille des armes, on rime, pour demander l’accolade, une ode ou une épître aux chevaliers qui ont gagné leurs