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bler la fête. — Suit une tirade sur l’incertitude de l’avenir, le néant de l’homme, et après l’élégie le diagnostic.

De la double paupière aux voiles chassieux
Les bords agglutinés obscurcissent les yeux :
Une poussière sèche encombre les narines.
................
Et le malade enfin, couvert de pétéchies,
Meurt les yeux convulsés et les jambes raidies.

Une autre spécialité de la science médicale a aussi inspiré, à propos d’une querelle de clinique, un poème dont le sujet s’est pudiquement voilé d’un titre quasi-mythologique, la Luciniade ; et comme si le triste catalogue des infirmités humaines devait former tout un cycle poétique, les enfans d’Apollon ont rimé des prospectus pour les consultations gratuites des enfans d’Esculape. Ainsi, c’était peu d’avoir traîné les Muses dans les ruisseaux souillés par le sang de l’émeute, il fallait encore les traîner à la Maternité, ou les atteler au carrosse des empiriques. L’auteur de la Némésis, M. Barthélemy, entre autres, n’a pas craint de se faire le poète du docteur Saint-Gervais.

Passons maintenant dans le camp des romantiques, comme on disait il y a tantôt dix ans. Ici encore nous marchons sur des ruines. Le poème romantique est ordinairement symbolique, mystique ou psychologique ; sa marche est irrégulière. Sa forme vise au lyrisme. Le poète symbolique est une espèce de sphinx, qui propose à ses lecteurs une énigme sociale, historique on religieuse, et le lecteur, qui n’a point la pénétration d’Œdipe, ferme souvent le livre avant d’avoir deviné. Le poète psychologue travaille de préférence sur les individualités souffrantes qui ont gagné au contact de Manfred quelque plaie incurable et profonde. Les évènemens sont à peu près nuls, et toute la mise en œuvre consiste dans l’analyse des passions ou des sentimens. Les poèmes en dialogues, ou poèmes-drames, ont été, dans ces derniers temps, essayés plusieurs fois ; les héros sont d’ordinaire des collatéraux de Werther et de don Juan. Ils participent de la double nature de leurs aïeux, et par nécessité d’origine, par tradition de famille, ils sont tout à la fois mystiques, blasés, rêveurs et mauvais sujets. Ils boivent l’orgie, broient les femmes, débitent de longues tirades sur les clairs de lune, et finissent ordinairement par le cloître ou le suicide. Les courtisanes, dans ces sortes de compositions, tiennent une grande place, et y apportent les allures de leur vie facile :

Jésus ! ma chevelure est toute défrisée !

s’écrient-elles dans un négligé tout-à-fait galant, lorsque les libertés du bal ont compromis leur toilette. Le lieu de la scène est ordinairement un palais de l’Italie, tombé aux mains d’un don Juan ruiné, quelque manoir des Borgia qui rappelle le quatrième acte du Roi s’amuse.

L’antiquité, la mythologie, ont eu aussi leur résurrection ; mais, comme il