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STATISTIQUE LITTÉRAIRE.

philosophie grecque avant Socrate, et nous touchons en même temps au baron d’Holbach et à Lamettrie. « Supposer que le monde a été créé, c’est supposer l’existence de deux dieux différens ; et, si le monde est créé, Dieu lui-même a dû l’être. » Tel est le thème, la base philosophique sur laquelle repose le poème. Le sujet, on le voit, n’est guère plus poétique qu’il n’est orthodoxe. Citons encore, pour mémoire et comme spécimen : Oromaze ou le Triomphe de la lumière. Oromaze et Ahriman « sont très connus depuis long-temps. » Oromaze, principe du jour, est vaincu par Ahriman, principe des ténèbres. De là de fréquentes éclipses de soleil ; les peuples se trouvent dans un grand embarras ; ils brûlent tous les arbres pour se chauffer et faire leur cuisine. Après avoir brûlé les arbres, ils brûlent leurs meubles, et, les meubles venant à manquer, ils mangent leur dîner cru. La couleuvre, dans cette extrémité,

leur servit de pâture.
Bientôt plus de couleuvre et plus de nourriture ;

et pour dernière ressource, les peuples se mirent à se manger les uns les autres en frémissant d’horreur, etc. Ce poème est d’un éternel candidat à l’Académie, M. Paillet de Plombières.

Les poèmes héroï-comiques, grivois, burlesques, ont fait leur temps. Les poèmes badins ont donné quelques volumes, quinze environ en dix ans, qui rappellent, moins le bonheur de l’idée première, le style et l’esprit, le Lutrin et Vert-Vert. Mais en général, dans les catacombes classiques, c’est le poème historique qui domine. Nous avons d’abord, sous le titre de Pallantiade, une histoire universelle, complète comme celle du père Turcellin, puis les monographies, les âges héroïques et les temps barbares, l’Alexandréide, et plusieurs épopées sur Jeanne d’Arc. Les jours sont mauvais pour l’épopée. Nos poètes épiques font moins bien que le père Lemoine, et moins mal que Scudéry. Le père Lemoine a laissé une vingtaine de vers dont on se souvient, parce qu’ils sont vraiment beaux ; Scudéry, quelques hémistiches qu’on cite pour s’égayer. Dans les œuvres modernes que nous explorons, tout est médiocre, et de la sorte nos Homères malencontreux n’ont pas même, pour se faire lire, la triste ressource du ridicule. Il a été publié depuis onze ans, cent vingt grands poèmes descriptifs, didactiques, symboliques, historiques, dantesques, tous également remarquables par le nombre de leurs vers ; en est-il jusqu’à trois que nous puissions citer comme ayant laissé trace ?

Notons encore, dans le genre classique, les poèmes médicaux, qui ont du moins le mérite de la nouveauté. Le choléra, qui nous a tous fait pleurer et souffrir, a fait chanter les poètes et nous a valu quelques milliers de vers ; mais je ne sais rien de plus monotone que ces rimes écloses sous l’impression d’une même pensée et la contagion d’une même terreur. — D’où vient l’inexorable fléau ? Est-il tombé sur nous sous le vent du hasard ou le doigt de Dieu ? L’air est pur, les fleurs s’épanouissent. Le peuple de Paris, toujours imprévoyant, s’amuse du carnaval ; il danse au bal et boit aux barrières. C’est la vieille histoire du festin de Balthazar ; la mort vient tout à coup trou-