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d’agitateur populaire. Une fois entre autres, il lui arriva de monter à la tribune pour parler dans le sens de la résistance ; il y fut accueilli par de telles rumeurs de la part du parti modéré, qu’il ne put s’empêcher de tonner contre ceux qu’il était venu défendre, et de soutenir avec passion ce qu’il aurait voulu combattre. Le jour de l’ouverture des états-généraux, pendant que le nom de Mounier était couvert d’applaudissemens, le sien avait soulevé des murmures de réprobation, et ce ne fut que la rougeur sur le front qu’il put arriver jusqu’à sa place. L’orgueil blessé, la colère, la vengeance, l’emportaient hors de lui-même, quand il se voyait ainsi humilié ; il se réfugiait dans la popularité comme dans un fort toujours ouvert, et d’où il pouvait rendre guerre pour guerre. Tout en partageant au fond les idées de Mounier, il fut son ennemi ; leur intelligence aurait pu tout sauver, car ils se seraient complétés l’un par l’autre ; leur fatale désunion perdit tout.

Ces faits expliquent la marche de la révolution, ils n’en démontrent pas la nécessité. Les hommes et les évènemens étant ce qu’ils ont été, il en devait sortir ce qui en est sorti. Mais les hommes auraient pu être différens, et les évènemens aussi. Que Mounier se fût trouvé aussi intègre et plus habile, Mirabeau aussi éloquent et moins dépravé, Malouet aussi sage et plus remuant, Barnave aussi brillant et moins inconsidéré, tout changeait de face. Qui sait d’ailleurs combien de circonstances fortuites, d’accidens imprévus, auraient pu détourner à tout moment le cours des choses ? Il importe de s’entendre sur le sens de ce grand mot, la nécessité ; s’il veut dire seulement que toute cause a son effet, que tel résultat particulier devient inévitable dans un moment donné, il est juste ; s’il implique une sorte de fatalité supérieure, d’ordonnance providentielle et divine, quelque chose comme le destin des anciens, il est faux. La nécessité et la liberté se disputent ce monde ; il n’est point de liberté que la nécessité ne domine, point de nécessité que la liberté n’altère ; nul ne peut se vanter d’assigner à l’une et à l’autre les bornes qu’elle ne saurait franchir. Supposez seulement l’élection de Mirabeau manquée à Aix, que serait-il arrivé ? Nous l’ignorons ; rien sans doute de tout-à-fait différent, mais rien non plus d’absolument semblable, et le nombre des suppositions qu’on peut faire ainsi est illimité. Tout fait est le résultat d’une foule de causes successives ou simultanées ; supprimez, modifiez une seule de ces causes, même la plus futile, et il cesse d’être le même ; il n’était donc pas nécessaire.

On dit que la série entière des erreurs de la révolution a pu seule