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LES MONARCHIENS DE LA CONSTITUANTE.

dont il méprisait les vices et dont il détestait les succès. Il ne comprit pas enfin, lui qui comprenait si bien toute chose, que l’idée la plus juste, la plus légitime, ne peut faire son chemin par elle-même, et, s’il le comprit, il ne voulut pas ou ne put pas suffire aux exigences de sa position. Il aurait fallu qu’il exerçât plus activement la direction, ou qu’il la déléguât ; il ne fit ni l’un ni l’autre, et personne ne se rencontra pour se saisir de l’empire qu’il laissait vacant.

On peut dire que le sort de la France fut un moment dans les mains de Mirabeau. Cet homme si puissant et si coupable était doué des qualités qui manquaient à Mounier ; malheureusement il n’avait pas cette droiture de l’ame qui peut seule donner à l’esprit toute sa rectitude. Lors de la discussion sur la sanction, il se prononça pour le veto absolu, il était trop tard ; le succès des scènes les plus factieuses avait déjà livré l’assemblée effrayée aux influences populaires, et Mirabeau y avait travaillé plus que personne. Ce qui s’apprend en dernier lieu dans la vie politique, c’est la solidarité qui unit toutes les questions par un lien indissoluble, et qui fait qu’aucune d’elles ne peut être traitée complètement à part. L’opinion sur le veto tenait à un système général qui devait réussir ou échouer dans toutes ses parties. Les hommes se conduisent plus par les impressions que par les idées, et la vérité d’un détail les frappe moins que la puissance de l’ensemble ; il ne suffit pas de les convaincre, il faut les dominer. Les raisons données par Mirabeau en faveur du veto étaient sans doute excellentes ; on ne les jugea pas, on ne les écouta pas. L’attention était absorbée tout entière par les bandes armées qui promenaient l’émeute dans Paris et l’incendie dans les départemens. Comment investir le roi de l’autorité souveraine quand on le voyait si impuissant à maintenir l’ordre dans l’état et à se défendre lui-même ? Mirabeau avait été des premiers à encourager la sédition contre l’antique prestige de la royauté ; quand il s’en est repenti, il n’était plus temps. Les fautes de ma jeunesse ont fait bien du mal à la France, disait-il souvent lui-même dans les derniers jours de sa vie, et il avait raison. Le souvenir de ces fautes fut la vraie fatalité qui le poussa. Son esprit supérieur sentait vaguement ce qu’il fallait faire pour fonder en France un gouvernement libre ; la considération lui manquant pour le tenter, il n’osait pas. Il avait presque toutes les idées justes et embrassait avec violence le parti des passions contraires. Il aspirait par momens à prendre le beau, le grand rôle de médiateur ; mais, repoussé par l’aversion des honnêtes gens et le sentiment de ses propres souillures, il retombait dans le rôle plus facile