Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/968

Cette page a été validée par deux contributeurs.
962
REVUE DES DEUX MONDES.

prises avec la fortune, et gardons-nous de lui dire trop tôt qu’elle s’égare : ce serait préparer une excuse trop facile à toutes les lâchetés.

Qui osera dire d’ailleurs que tout succès fût absolument impossible ? Si nous accusons les contemporains de n’avoir pas tout vu, à notre tour n’avons-nous pas beaucoup perdu de vue le temps que nous prétendons juger ? Nous ne nous souvenons que de ce qui a vaincu, ce qui a résisté se perd dans l’ombre. Transportons-nous plus réellement en 1789, et regardons mieux au fond des choses. Nous verrons les intérêts nouveaux bien puissans sans doute, bien irrésistibles, mais satisfaits pour la plupart dès le premier jour dans ce qu’ils avaient de légitime ; nous verrons une partie des membres de la noblesse et du clergé se rattachant avec ardeur à l’ancien régime, mais une autre partie allant au-devant des réformes et tendant la main à l’avenir. La conciliation était si bien dans la nature des choses, qu’elle fut complète pendant quelque temps, et que le parti qui la représentait domina les états-généraux. Tous les présidens, jusqu’aux journées d’octobre, furent choisis dans ce parti. On était bien loin alors des idées de 93, et nul ne sentait les prétendus besoins qui se sont développés plus tard. Avec un roi consciencieux et bon comme Louis XVI, un ministre comme Necker, une réunion de grands citoyens comme ceux qu’avait fournis chacun des trois ordres, une majorité comme celle que renfermait réellement l’assemblée, comment eût-il été impossible d’obtenir, sinon un triomphe absolu et définitif, du moins quelque chose de plus régulier et de plus gradué que ce qu’on a eu ? Les élémens d’un gouvernement libre étaient nombreux ; il ne s’agissait que de les grouper, de les fondre ensemble, de les maintenir unis et actifs, en dépit des forces hostiles qui tendaient sans cesse à les dissoudre. Mais c’est là le problème éternel de tous les corps délibérans ; il se pose encore aujourd’hui, tous les jours, aussi bien qu’alors.

Qu’a-t-il donc manqué à la majorité de 1789 pour se constituer plus fortement ? Peut-être un homme. Mounier n’avait pas à proprement parler les qualités d’un chef de parti, l’éloquence, l’ambition, l’active habileté, l’art de frapper les imaginations et de rallier les intelligences. D’un caractère inflexible comme son esprit, il ne savait qu’avoir raison ; ce n’est pas assez. Malouet entendait mieux que lui les détails de la conduite, Lally avait de son côté une parole plus entraînante et plus facile : il ne sut tirer ni de l’un ni de l’autre un parti décisif. Il ne fit rien pour se conserver Barnave, qui était d’abord son ami, son élève, et qui lui fut enlevé par un jeune désir de gloire et de popularité. Il ne voulut jamais se rapprocher de Mirabeau,