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Recherches sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres. Il ne revint en France qu’à la suite du 18 brumaire, après avoir passé douze ans dans l’exil.

Cette retraite de Mounier a été blâmée, et avec raison à notre avis. Il y a des circonstances où la vie publique impose des devoirs sacrés. Même après une défaite, tout soldat doit rester à son poste. Qui sait de quel poids peut être un jour le vote d’un homme quand le sort du monde s’agite à chaque instant dans un scrutin ? Il ne suffit pas de savoir où est la bonne cause, il faut encore travailler sans relâche à la faire triompher. Dans les crises politiques, les opinions sages et mesurées sont celles qui ont le plus besoin de courage et de persévérance. Plus l’esprit est solide et le cœur droit, plus la volonté doit être ferme, car il est plus difficile en ce monde de faire le bien que le mal. Presque jamais, d’ailleurs, il n’y a en politique de partie complètement gagnée ou complètement perdue. Lally-Tollendal suivit Mounier et se retira comme lui après les 5 et 6 octobre ; si tous deux étaient restés à l’assemblée, ils auraient vu ceux qui les avaient combattus avec le plus d’ardeur revenir peu à peu sur leurs pas, à mesure qu’ils étaient éclairés par l’expérience. L’éloquence persuasive de Lally, l’autorité des croyances inébranlables de Mounier, auraient pu venir au secours de ces conversions tardives, les activer, les multiplier, les rallier peut-être, et reformer plus ou moins les rangs dispersés de leur parti. Nous avons vu que la véritable majorité de l’assemblée voulait la monarchie constitutionnelle. Avec un pareil point d’appui, rien n’était désespéré. Mais, si l’intelligence de Mounier avait deviné les conditions légales de la liberté, il n’avait pas pu se donner en même temps les mœurs qu’elle exige. Il aurait su mourir sur son fauteuil un jour d’émeute ; il répugnait à ce labeur ingrat et incessant, à ce combat éternel et triste qui est imposé dans un pays libre à tout homme de conviction et de cœur.

Malouet a joué un rôle moins actif que Mounier pendant quelques mois, mais il racheta cette infériorité par plus de persévérance. Il prit part aux travaux de l’assemblée jusqu’au bout, et ne quitta la France qu’après le 10 août, lorsqu’il fut bien évident que toute conciliation était pour un temps impossible. Du reste, c’était bien la même ligne d’opinion que Mounier, mais avec moins de raideur dans l’esprit et plus de tempérament dans le caractère. Avant l’ouverture des états-généraux, il avait publié, sous le titre d’Appel à la noblesse, un habile plaidoyer en faveur de l’égalité. Pendant les longs jours d’attente et d’indécision qui précédèrent la réunion des ordres,