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s’agit pas ici de bornes immobiles, passives ; on les renverserait. Des lois, portées dans un temps, oubliées dans un autre, ne suffiraient pas ; il faut, à une force active, opposer une force active. De là suit la nécessité de balancer les pouvoirs, de diviser la puissance, non pas en deux, mais en trois portions. Un pouvoir unique finira nécessairement par tout dévorer, deux se combattront jusqu’à ce que l’un ait écrasé l’autre ; mais trois se maintiendront dans un parfait équilibre, s’ils sont combinés de telle manière que, quand deux lutteront ensemble, le troisième, également intéressé au maintien de l’un et de l’autre, se joigne à celui qui est opprimé contre celui qui opprime, et ramène la paix entre tous. Ainsi, en Angleterre, pendant l’absence des parlemens, le pouvoir unique du monarque fut presque toujours celui d’un despote. L’époque sanglante qui vit détruire la chambre des pairs vit les démagogues renverser la monarchie. Mais depuis le rétablissement du trône et des deux chambres du parlement, surtout depuis le pacte national qui a défini leurs pouvoirs et leurs droits respectifs après la révolution de 1688, aucun pays n’a joui dans son intérieur d’une tranquillité plus complète que l’Angleterre. Nulle part la propriété n’a été plus sacrée, la liberté individuelle plus intacte. »

Le rapporteur ne s’en tient pas là ; il insiste sur les inconvéniens d’une chambre unique. « Il n’est pas douteux, dit-il, que, pour aujourd’hui, une chambre unique n’ait été préférable et peut-être nécessaire. Il y avait tant de difficultés à surmonter, tant de préjugés à vaincre, tant de sacrifices à faire, tant de vieilles habitudes à déraciner, une puissance si forte à contenir, en un mot, tout à détruire, et presque tout à créer ! Mais la manière d’établir est-elle aussi la manière de conserver ? Le procédé qui perfectionne n’est-il pas différent de celui qui crée ? Ce qui est nécessaire pour une circonstance extraordinaire, pour une crise unique dans la durée d’un empire, ne serait-il pas dangereux, appliqué à tous les temps et à l’état habituel de son gouvernement ? Une assemblée unique court perpétuellement le danger d’être entraînée par l’éloquence, séduite par des sophismes, égarée par des intrigues, enflammée par des passions, emportée par des mouvemens soudains qu’on lui communique, arrêtée par des terreurs qu’on lui inspire, par une espèce de cri public même dont on l’investit, et contre lequel elle n’ose pas seule résister. Plus son pouvoir est étendu, et moins sa prudence est avertie. Elle se porte avec une sécurité entière à une décision dont elle est sûre que per-