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l’exécution, et jamais les lois ne seront exécutées tant qu’on n’aura pas détruit le pouvoir arbitraire par une forme précise de gouvernement. Il n’est point de maux dont la liberté ne console, point d’avantage qui puisse en compenser la perte. Saisissons l’instant favorable ; hâtons-nous de la procurer à notre patrie. Profitons des intentions bienveillantes de sa majesté. Quand une fois la liberté sera fixée et que le pouvoir législatif sera déterminé, les bonnes lois se présenteront naturellement. »

Ce langage était celui de la raison même. Dans ces grandes et terribles circonstances où la nécessité d’une rénovation sociale est évidente, la crise ne saurait être trop courte. Si la nouvelle organisation ne succède pas aussitôt à la chute de l’ancienne, l’absence de tout pouvoir régulier, de toute autorité nettement constituée, peut amener, en se prolongeant, les plus formidables conséquences. Plus la société est profondément remuée, plus elle a besoin d’avoir vite un gouvernement qui la soutienne et la contienne à la fois dans le travail de sa transformation. Ce que la France entière n’a su qu’en 1830, Mounier le savait en 1789 ; ce que quarante ans d’épreuves ont fini par nous enseigner, il l’avait appris par la méditation solitaire et par l’étude de l’histoire politique. Malheureusement il était à peu près seul alors à le savoir. Il ne put parvenir à faire voter la constitution aussi promptement qu’il l’aurait voulu. L’assemblée avait un sentiment vague qu’il avait raison, mais l’inexpérience des uns et l’emportement des autres ne lui permirent pas d’arriver à son but. Il fut gagné de vitesse par les évènemens. Deux jours seulement après son rapport, le renvoi des ministres donna le signal des troubles de Paris ; Le dimanche 12 juillet, l’émeute naquit au Palais-Royal ; le 13, les électeurs, réunis à l’Hôtel-de-Ville, formèrent ce comité permanent qui est devenu l’origine de la commune ; le 14, la Bastille fut prise. Le peuple venait de faire son entrée dans la révolution.

Mounier était l’ami de Necker : plus que personne il regretta la disgrace de ce ministre, il présenta à l’assemblée une motion pour demander son rappel ; mais ce qu’il aurait voulu par l’autorité légale, il craignait de l’obtenir de l’émeute. Cependant, quand les évènemens de Paris furent consommés, il chercha encore à se rendre maître de l’enthousiasme patriotique qu’ils avaient excité. Il s’attacha à borner au retour des ministres le triomphe des Parisiens, et à reporter au roi la reconnaissance publique. Lally-Tollendal, son ami, l’orateur de ses idées, prononça à l’Hôtel-de-Ville un discours touchant dans ce sens ; tel était encore en ce moment l’état des esprits,