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bres, ni l’emportement qui a bouleversé de fond en comble l’ancienne société, ni l’obstination aveugle qui voulait tout conserver d’un passé plein d’abus. Ils n’ont pas eu, comme Lafayette, l’illustration qui s’attache toujours à un grand commandement militaire ; ils n’ont pas eu, comme Mirabeau, la grandeur de l’éloquence et de la popularité ; ils n’ont pas eu, comme les girondins, le bonheur d’une mort touchante, ou, comme les montagnards, le prestige sauvage de la terreur. Rien de tragique et de poétique dans leur mémoire, rien qui puisse frapper l’imagination ou le cœur, ni la consécration du succès, ni l’intérêt d’une belle chute ; ils ont combattu et succombé obscurément, car ils n’avaient pour eux que ce qui émeut le moins les hommes, la vérité, la justice et la raison.

Ce serait le devoir du temps présent de les relever de cette obscurité. Le temps présent est leur héritier direct. Ce qu’ils ont voulu, il le veut ; ce qu’ils ont tenté de faire, il le fait. Chose étonnante et bien digne de réflexion, les doctrines qui devaient clore la révolution sont précisément celles qui l’ont commencée. Ce qui ne devait être réalisé que de nos jours a été proposé et généralement accepté en 1789. L’unité nationale, l’égalité civile, la liberté politique, ces trois grandes conquêtes de nos longues luttes, la France les aurait possédées dès le premier jour, si elle avait su s’y tenir. Quel que soit le jugement qu’on porte sur ce qui a suivi, c’est là un fait qui ne peut être nié. Nécessaire ou non, le mouvement de la révolution nous a ramenés où il nous avait pris ; nous sommes revenus au point de départ. Ceux qui ont inutilement essayé d’épargner à la France ce long circuit ont bien quelque titre à son souvenir, maintenant qu’elle est rentrée dans le lit qu’ils lui avaient préparé. C’est à peine cependant si elle sait leurs noms, malgré les efforts généreux qui ont été tentés plusieurs fois pour les lui rappeler[1].

Enfans d’une génération nouvelle, nous ne sommes plus emportés si vite aujourd’hui par le plus grand mouvement social qui ait agité le monde depuis des siècles. Plus calmes que nos pères, mieux éclairés qu’eux, nous jouissons de leurs victoires sans partager leurs passions et leurs erreurs. Au lieu des chimères d’un avenir inconnu, nous avons l’expérience d’un passé qui nous touche ; au lieu de vengeances à exercer, nous en avons à faire oublier. Le temps a vanné les idées qui affluaient pêle-mêle il y a cinquante ans ; il a distingué le bien du mal, le vrai du faux, le juste de l’injuste. C’est donc à notre époque

  1. Voir surtout l’excellente Histoire de Louis XVI, par M. Droz.