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quelque part pour assurer l’industrie du pauvre contre la domination exclusive des capitalistes, c’est assurément dans les pays gréco-slaves. Sans doute la France aurait pendant un certain temps un grand avantage matériel à traiter avec un seul homme pour l’exportation des produits bruts de ces contrées fertiles. Si l’on se rappelle d’ailleurs que notre diplomatie est habituée à tout juger du point de vue de l’unité, et que, dans tout pays, elle commence par capter la bienveillance du chef, on comprendra que Hussein, visir de toutes les terres bulgares, ait attiré principalement son attention. Mais il ne faut pas oublier que l’Orient ignore la centralisation, que chaque pays y a beaucoup de chefs, et que, si l’on traite avec l’un d’eux sans avoir pour soi les autres, on ne règne pas long-temps. Mieux vaudrait adopter une politique d’avenir, renoncer à quelques profits passagers qui seront suivis d’une longue disette, et s’entendre avec la race indigène, qui seule ne disparaîtra pas du sol, pour fonder avec elle des rapports de négoce et d’amitié durables. Certes, la Russie se réjouirait de voir le commerce français s’adresser au tyran des Bulgares, qui, grace à l’espèce d’indépendance dont il jouit, pourrait conclure un traité dans le genre de ceux passés naguère avec Méhémet-Ali ou Miloch. Ce traité ouvrant à son monopole des débouchés nouveaux, l’oppression des rayas atteindrait son dernier terme, et la nation qui aurait conclu un tel pacte s’attirerait toutes les malédictions des victimes. La comparaison entre Hussein et Méhémet-Ali serait fausse d’ailleurs sur un point. Nos agens commerciaux ne trouveraient pas en effet chez le Bulgare, quelle que soit la douceur naturelle de son caractère, la résignation fataliste du paysan d’Égypte. Il serait imprudent, on le voit, de s’aliéner sans de graves motifs un peuple qui peut armer deux cent mille bras pour venger son injure ou soutenir la cause qui aura ses sympathies. On trouverait au contraire, nous le répétons, dans l’amitié des rayas bulgares, une source de relations durables et utiles. Les produits bruts de la Bulgarie sont les mêmes que ceux qu’on va péniblement chercher en Moldavie et jusqu’à Odessa, les mêmes que ceux de la Crimée et de toute la Russie méridionale. Un comptoir d’achats pour ces produits, établi par des compagnies françaises dans le golfe d’Énos, à l’embouchure de la Maritsa, deviendrait, au bout de peu d’années, le but de nombreuses caravanes venant du Balkan et même du Danube. Les armateurs de Marseille, en s’abouchant avec les Bulgares de la Méditerranée, au lieu d’aller en Russie, épargneraient à nos vaisseaux marchands un