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On ne peut nier que l’empire russe n’ait intérêt à favoriser l’émancipation des Bulgares jusqu’à un certain degré, au-delà duquel seulement cet acte contrarierait sa politique. L’Angleterre, au contraire, sera hostile en tout et toujours aux Bulgares, comme à tous les Gréco-Slaves, qu’elle ne peut exploiter commercialement que par Constantinople, et à la condition de ne pas trouver chez eux d’existence indépendante. Quant à l’intérêt de l’Autriche, il peut encore moins se concilier avec l’indépendance des Bulgares que l’intérêt britannique. En effet, la Hongrie, dont l’influence deviendra peut-être dominante dans cet empire, doit aspirer à porter sur la mer Noire sa limite orientale, et à devenir la maîtresse absolue du Danube. Elle tend aujourd’hui à ce double but de tous ses efforts, elle y a constamment tendu ; ses guerres, du XIVe au XVIIe siècle, voilées du prétexte de la croisade contre les schismatiques et les Turcs, n’étaient qu’une satisfaction donnée à cet impérieux besoin. Le tombeau du roi Vladislas à Dedikioï, sous Varna, où ce monarque fut vaincu et tué par Amurat II, ne cesse pas aujourd’hui encore d’attirer des pèlerins hongrois.

La France seule, dans la question que soulèvent les révoltes des Bulgares, n’est pas immédiatement intéressée ; il lui est donc permis de garder une impartialité qui ne pourrait cesser que si les Bulgares, en s’isolant de Stamboul, livraient le Balkan aux Russes. Nous ne pourrions souffrir que le développement de leur nationalité aboutît à un tel résultat, et nous devrions alors associer notre politique à celle des Anglais ; mais, tant que les Bulgares ne songeront qu’à leur patrie et aux moyens de la réhabiliter comme pays libre annexé à l’empire turc, la France doit rester pour eux une amie, et ne peut par conséquent approuver sur ce point la politique anglaise.

Après avoir examiné quelles pouvaient être dans cette question les vues des grandes puissances, nous devons étudier aussi les influences plus voisines et plus directes qui pourraient agir en bien ou en mal sur le sort des Bulgares. Les Serbes, nation intermédiaire placée entre la Hongrie et la Bulgarie, voient bien que, pour revenir à Varna, l’Autriche devra les fouler aux pieds s’ils ne s’allient pas à elle. Dans cette crainte, ils cherchent à se fortifier par tous les moyens possibles, et n’en imaginent pas de meilleur que de s’incorporer les Bulgares. Tous les secours que la Serbie prête à ces derniers sont donc peu désintéressés ; elle est la rivale la plus directe et la plus à craindre pour l’avenir prochain des Bulgares ; sans cesse on