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chaine dans les vallées du Strouma. Ce fut sous de pareils auspices que le nouveau sultan Abdul-Medjid, ou plutôt son grand-visir, croyant parer l’orage, publia le malencontreux hatti-schérif de Gulhané, qui ne satisfaisait à aucun des besoins réels de ces provinces, et réveillait toutes les passions. Les prophéties populaires des Gréco-Slaves pour l’année 40 n’avaient pas encore eu leur effet ; les Bulgares étaient dans une attente universelle. Au mois d’avril de l’année suivante, le jour des quarante martyrs, une des principales fêtes des Bulgares, la rupture du grand pont de la Maritsa, qui causa la mort de soixante-douze personnes à Andrinople, parut à tous une manifestation de la volonté divine, qui ordonnait la guerre. Bientôt chrétiens et Turcs échangèrent des menaces, et dans la plupart des villes on vit les rayas et leurs oppresseurs élever des barricades les uns contre les autres.

Le pays était agité en tous sens par les restes de l’hétairie de Ternov, et par l’action secrète des philorthodoxes, qui se dévouaient dès-lors à propager ces doctrines de mysticisme politique qui n’appartiennent qu’aux Hellènes. Douze prêtres, regardés comme les apôtres de la Sophie céleste et régénératrice, parcouraient les provinces gréco-slaves, appelant les rayas à se coaliser pour forcer les Turcs à leur rendre la Sainte-Sophie de Stamboul. Ainsi, tous ces peuples divers s’unissaient dans un même but religieux. Quand la révolte de Candie et des Thessaliens eut éclaté, les Bulgares suivirent l’impulsion donnée. Leurs premiers cris d’émeute retentirent à Kirk-Kilissé, dans la Romélie, un des points où ils sont le plus grevés d’impôts ; mais, n’osant tenir la plaine, ils se bornèrent à occuper les défilés des montagnes. Dès-lors toute communication fut coupée entre la capitale et les forteresses du nord ; tout le pays au-delà d’Andrinople fut placé sous la garde des haïdouks, qui se chargèrent d’en faire la police, et cette tâche fut remplie avec un ordre admirable par cette populace méprisée. Les voyageurs, les courriers des puissances étrangères, continuèrent de traverser en tous sens le Balkan sous l’escorte des haïdouks, comme s’il y eût régné une paix profonde. Cependant des scènes épouvantables s’y passaient, et la lutte entre les Turcs et les rayas était marquée déjà par de terribles épisodes.

Un évènement d’un caractère tout antique fit éclater les hostilités. La Gazette nationale des Serbes et leur Gazette officielle[1] don-

  1. Srbske narodue novine. Biogradske nov. — Ces deux journaux sont moins connus à Paris que ceux des Anglo-Américains. La France n’aurait-elle pas intérêt