Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/929

Cette page a été validée par deux contributeurs.
923
LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

de Miloch, armes, poudre, canons. En réalité Miloch, qui avait à fonder une dynastie feudataire, était loin de songer à toute démarche qui l’aurait compromis vis-à-vis de son suzerain. Aussi, quand il eut appris la tentative du knèze, il l’envoya saisir dans le camp même des Bulgares et le fit cruellement empaler ; puis il députa à Jarkoï, pour son représentant, le ministre des affaires étrangères de la Serbie, Avram Petronievitj, qui, en prodiguant aux rebelles les plus séduisantes promesses, les détermina à se retirer. Les révoltés bulgares envoyèrent au sultan leurs députés avec Petronievitj, afin de régler la constitution promise ; mais tout se réduisit pour les envoyés à obtenir quelques modifications sans importance dans l’état social des Bulgares. Les staréchines ne devaient plus être aussi dépendans des Turcs que par le passé. Chaque commune pourrait en outre choisir et solder elle-même son staréchine ; celui-ci aurait deux adjoints sachant lire, et un cachet pour sceller les décisions municipales ; enfin ces magistrats jugeraient en première instance tous les procès entre rayas.

Ces concessions n’étaient qu’un leurre : les Bulgares auraient pu obtenir beaucoup plus, s’ils ne s’étaient point fiés à Miloch. De son côté, la cour serbe se ménageait habilement par cette intervention la reconnaissance du sultan, sans trop indisposer les Bulgares, dont elle devenait la patrone. Ceux-ci s’applaudissaient avec une joie enfantine d’avoir enfin contraint à une première capitulation leurs inexorables tyrans ; mais ils ne tardèrent pas à voir le néant de ces conventions : les beys turcs avaient mille moyens indirects d’intervenir dans les affaires des communes, de leur imposer des staréchines de leur choix, ou de se venger cruellement si on les repoussait, et les Bulgares retombèrent bientôt dans l’esclavage. Néanmoins cette insurrection, où ils avaient vu fuir à leur approche les brillans soubachis impériaux, a laissé parmi eux un profond souvenir. Jarkoï est devenu leur mot de ralliement. Depuis ce temps, lorsque le Bulgare, si soupçonneux d’ordinaire, veut donner une marque de confiance à l’étranger qui a gagné son amitié, il ne manque jamais de lui raconter quelque trait du siége de cette ville.

Les Bulgares de la Zagora, dont l’existence communale est entièrement détruite et dont les staréchines ne sont que de simples kiayas (adjoints) des Turcs, songeaient déjà, lorsque Mahmoud mourut, en 1839, à répéter le mouvement de Jarkoï. L’agitation des haïdouks de Macédoine, qui se montraient par centaines dans les défilés, faisait en même temps prévoir une explosion sanglante et très pro-