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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

quante mille Gréco-Slaves et située dans les montagnes qui séparent la Bulgarie de l’Épire, avait été réduite par les exactions de ces brigands à l’état de pauvre village. Le visir Pasmandchia, envoyé avec l’armée impériale pour les bloquer dans Vidin, avait été battu, et son camp livré au pillage. Le fameux Ali, pacha de Janina, alors surnommé, pour ses victoires sur les Grecs, le lion de l’islamisme, vint, à la prière du sultan, se joindre aux quarante pachas d’Asie et d’Europe qui, réunis sous le capitan-pacha Kutchuk-Hussein, assiégeaient Pasvan ; mais, l’armée impériale concentrée en Bulgarie ayant dû voler vers la Syrie et les bords du Nil, contre les Français, les bandits du Balkan n’eurent plus rien à craindre. On les vit marcher comme des princes, couverts d’étoffes d’or et d’argent ; leurs beaux chevaux tatars étaient soignés par leurs concubines, qui, vêtues d’habits d’hommes, les suivaient au combat. Chaque bande avait son boulouk-bachi ou capitaine, qui relevait d’un bimbachi (colonel). Les plus célèbres de ces héros sauvages furent Hadchi-Manov, Deli-Kadriya, Kara-Feisiya et Gouchants-Ali. Devenu par eux maître absolu du cours du Danube, qu’aucune barque ne descendait sans lui payer tribut, Pasvan voulut étendre sa puissance jusqu’en Serbie, où régnait alors un pacha béni du peuple, Moustapha. Ce visir de Belgrad était si bon, que les chants populaires slaves l’ont surnommé la mère des Serbes (Srbska maïka). Pasvan, qui jugeait nécessaire de faire de la Serbie une des bases de son trône, entra en personne dans ce pays, et envoya son avant-garde bloquer Belgrad. Moustapha, surpris, sans armée, dut se rendre et fut égorgé. Pasvan, devenu maître de la Serbie, l’abandonna à ses terribles janissaires, qui y commirent des atrocités inouies, et qui, s’étant choisi quatre chefs sous le nom de dahis ou deys, finirent par se rendre indépendans même de Pasvan Oglou.

Toute la puissance morale de ces bandes résidait dans le principe qu’elles représentaient, dans l’islamisme, dont elles défendaient l’esprit et les antiques mœurs contre les innovations du sultan. Sélim commençait alors cette fatale réforme à l’européenne, robe de Déjanire par laquelle l’Hercule ottoman est, depuis cette époque, lentement consumé. Dans toute la Turquie, les janissaires étaient en insurrection ; à chaque instant, ils entraient en lutte avec le Nizam-djedid ou les nouvelles milices disciplinées à la franque. Plus le sultan s’éloignait des janissaires et favorisait les institutions des giaours, plus les janissaires s’aigrissaient et contre le sultan et contre les frères des giaours ou les rayas ; ils en vinrent enfin jusqu’à décider l’entière