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l’art de la charpente, cette façon de remplacer l’art par la ruse, la création par l’adresse, la puissance par l’artifice, et de couvrir sous le stratagème des petits moyens la profonde stérilité de l’observation et le néant de l’originalité. En effet, l’art dramatique peut mourir de plusieurs manières ; chez les Espagnols et les Anglais, par une mort subite, brusque et imprévue ; chez les anciens Grecs et chez nous, par une transformation douce et lente ; il devient alors le vulgaire talent de duper la curiosité, et d’attraper agréablement le public. On sent moins sa mort ; la descente vers les dernières régions est plus paisible. Mais ce n’en est pas moins le terme fatal de l’art dramatique. Cet art est attaché d’une manière intime à certaines époques ardentes de la vie des peuples, et ce n’est pas un vain système, ce n’est pas une théorie inventée à plaisir, c’est un fait appuyé sur l’expérience, que l’efflorescence vive et passagère du drame réel. Les nations le créent selon les besoins, les désirs et les goûts de leur vie nationale, à l’époque de leur adolescence, sur le seuil de leur maturité ; ils ne peuvent prolonger son existence par delà ces limites.

La forêt du roman britannique ne s’éclaircit pas. M. Ainsworth a bâti son Saint-Paul et sa Tour de Londres, deux constructions sans solidité et sans proportion, mais baroques et obscures, ce qui plaît toujours à quelques esprits ; il continue son travail, et met la main au château de Windsor. Tous les monumens anglais y passeront. Comment ne voit-on pas que cette façon mécanique, matérielle, industrielle, industrieuse, de produire les œuvres littéraires et de les jeter sur le marché comme on manufacture des jouets d’enfant, que cette abondance de fabrication, facilitée par l’art typographique et la satiété du public, à force d’augmenter cette montagne de feuilles sèches, à force d’accumuler les choses stériles, rendra la littérature, l’exercice sincère et courageux de l’esprit, méprisable et quelque jour impossible ? Au milieu de ce silence du génie créateur, les antiquaires, les traducteurs, les éditeurs, les commentateurs, ont beau jeu. M. Hallywell, homme de beaucoup de sagacité et de savoir, rivalise avec Payne Collyer pour éclaircir quelques points obscurs de la littérature shakspearienne ; Payne Collyer lui-même prépare une nouvelle édition du grand dramaturge, édition destinée à éclipser les six cents éditions précédentes ; deux traductions simultanées de Flavius Josephe, ce merveilleux menteur judaïque, font leur apparition et trouvent des souscripteurs ; un savant d’Oxford publie, sous le titre de Hodœporicon, un recueil d’anciens voyages fort intéres-